Les Heures Claires

Emile Verhaeren

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Em. Verhaeren

Les
heures claires

1896






O la splendeur de notre joie,
Tissee en or dans l'air de soie!

Voici la maison douce et son pignon leger,
Et le jardin et le verger.

Voici le banc, sous les pommiers
D'ou s'effeuille le printemps blanc,
A petales frolants et lents.
Voici des vols de lumineux ramiers
Planant, ainsi que des presages,
Dans le ciel clair du paysage.

Voici—pareils a des baisers tombes sur terre
De la bouche du frele azur—
Deux bleus etangs simples et purs,
Bordes naivement de fleurs involontaires.

O la splendeur de notre joie et de nous-memes,
En ce jardin ou nous vivons de nos emblemes!

La-bas, de lentes formes passent,
Sont-ce nos deux ames qui se delassent,
Au long des bois et des terrasses?

Sont-ce tes seins, sont-ce tes yeux
Ces deux fleurs d'or harmonieux?
Et ces herbes—on dirait des plumages
Mouilles dans la source qu'ils plissent—
Sont-ce tes cheveux frais et lisses?

Certes, aucun abri ne vaut le clair verger,
Ni la maison au toit leger,
Ni ce jardin, ou le ciel trame
Ce climat cher a nos deux ames.

Quoique nous le voyions fleurir devant nos yeux,
Ce jardin clair ou nous passons silencieux,
C'est plus encore en nous que se feconde
Le plus joyeux et le plus doux jardin du monde.

Car nous vivons toutes les fleurs,
Toutes les herbes, toutes les palmes
En nos rires et en nos pleurs
De bonheur pur et calme.

Car nous vivons toutes les transparences
De l'etang bleu qui reflete l'exuberance
Des roses d'or et des grands lys vermeils:
Bouches et levres de soleil.

Car nous vivons toute la joie
Dardee en cris de fete et de printemps,
En nos aveux, ou se cotoient
Les mots fervents et exaltants.

Oh! dis, c'est bien en nous que se feconde
Le plus joyeux et clair jardin du monde.

Ce chapiteau barbare, ou des monstres se tordent,
Soudes entre eux, a coups de griffes et de dents,
En un tumulte fou de sang, de cris ardents,
De blessures et de gueules qui s'entre-mordent,
C'etait moi-meme, avant que tu fusses la mienne,
O toi la neuve, o toi l'ancienne!
Qui vins a moi des loins d'eternite,
Avec, entre tes mains, l'ardeur et la bonte.

Je sens en toi les memes choses tres profondes
Qu'en moi-meme dormir
Et notre soif de souvenir
Boire l'echo, ou nos passes se correspondent.

Nos yeux ont du pleurer aux memes heures,
Sans le savoir, pendant l'enfance:
Avoir memes effrois, memes bonheurs,
Memes eclairs de confiance:
Car je te suis lie par l'inconnu
Qui me fixait, jadis au fond des avenues
Par ou passait ma vie aventuriere,
Et, certes, si j'avais regarde mieux,
J'aurais pu voir s'ouvrir tes yeux
Depuis longtemps en ses paupieres.

Le ciel en nuit s'est deplie
Et la lune semble veiller
Sur le silence endormi.

Tout est si pur et clair,
Tout est si pur et si pale dans l'air
Et sur les lacs du paysage ami,
Qu'elle angoisse, la goutte d'eau
Qui tombe d'un roseau
Et tinte et puis se tait dans l'eau.

Mais j'ai tes mains entre les miennes
Et tes yeux surs, qui me retiennent,
De leurs ferveurs, si doucement;
Et je te sens si bien en paix de toute chose,
Que rien, pas meme un fugitif soupcon de crainte,
Ne troublera, fut-ce un moment,
La confiance sainte
Qui dort en nous comme un enfant repose.

Chaque heure, ou je pense a ta bonte
Si simplement profonde,
Je me confonds en prieres vers toi.

Je suis venu si tard
Vers la douceur de ton regard
Et de si loin, vers tes deux mains tendues,
Tranquillement, par a travers les etendues!

J'avais en moi tant de rouille tenace
Qui me rongeait, a dents rapaces,
La confiance;

J'etais si lourd, j'etais si las,
J'etais si vieux de mefiance,
J'etais si lourd, j'etais si las
Du vain chemin de tous mes pas.

Je meritais si peu la merveilleuse joie
De voir tes pieds illuminer ma voie,
Que j'en reste tremblant encore et presqu'en pleurs,
Et humble, a tout jamais, en face du bonheur.

Tu arbores parfois cette grace benigne
Du matinal jardin tranquille et sinueux
Qui deroule, la-bas, parmi les lointains bleus,
Ses doux chemins courbes en cols de cygne.

Et, d'autres fois, tu m'es le frisson clair
Du vent rapide et miroitant
Qui passe, avec ses doigts d'eclair,
Dans les crins d'eau de l'etang blanc.

Au bon toucher de tes deux mains,
Je sens comme des feuilles
Me doucement froler;
Que midi brule le jardin.
Les ombres, aussitot recueillent
Les paroles cheres dont ton etre a tremble.

Chaque moment me semble, grace a toi,
Passer ainsi divinement en moi.
Aussi, quand l'heure vient de la nuit bleme,
Ou tu te celes en toi-meme,
En refermant les yeux,
Sens-tu mon doux regard devotieux,
Plus humble et long qu'une priere,
Remercier le tien sous tes closes paupieres?

Oh! laisse frapper a la porte
La main qui passe avec ses doigts futiles;
Notre heure est si unique, et le reste qu'importe,
Le reste, avec ses doigts futiles.

Laisse passer, par le chemin,
La triste et fatigante joie,
Avec ses crecelles en mains.

Laisse monter, laisse bruire
Et s'en aller le rire;
Laisse passer la foule et ses milliers de voix.

L'instant est si beau de lumiere,
Dans le jardin, autour de nous,
L'instant est si rare de lumiere tremiere,
Dans notre coeur, au fond de nous.

Tout nous preche de n'attendre plus rien
De ce qui vient ou passe,
Avec des chansons lasses
Et des bras las par les chemins.

Et de rester les doux qui benissons le jour.
Meme devant la nuit d'ombre barricadee,
Aimant en nous, par dessus tout, l'idee
Que bellement nous nous faisons de notre amour.

Comme aux ages naifs, je t'ai donne mon coeur,
Ainsi qu'une ample fleur
Qui s'ouvre, au clair de la rosee;
Entre ses plis freles, ma bouche s'est posee.

La fleur, je la cueillis au pre des fleurs en flamme;
Ne lui dis rien: car la parole entre nous deux
Serait banale, et tous les mots sont hasardeux.
C'est a travers les yeux que l'ame ecoute une ame.

La fleur qui est mon coeur et mon aveu,
Tout simplement, a tes levres confie
Qu'elle est loyale et claire et bonne, et qu'on se fie
Au vierge amour, comme un enfant se fie a Dieu.

Laissons l'esprit fleurir sur les collines,
En de capricieux chemins de vanite;
Et faisons simple accueil a la sincerite
Qui tient nos deux coeurs clairs, en ses mains cristallines;
Et rien n'est beau comme une confession d'ames,
L'une a l'autre, le soir, lorsque la flamme
Des incomptables diamants
Brule, comme autant d'yeux
Silencieux,
Le silence des firmaments.

Le printemps jeune et benevole
Qui vet le jardin de beaute
Elucide nos voix et nos paroles
Et les trempe dans sa limpidite.

La brise et les levres des feuilles
Babillent—et effeuillent
En nous les syllabes de leur clarte.

Mais le meilleur de nous se gare
Et fuit les mots materiels;
Un simple et doux elan muet
Mieux que tout verbe amarre
Notre bonheur a son vrai ciel:
Celui de ton ame, a deux genoux,
Tout simplement, devant la mienne,
Et de mon ame, a deux genoux,
Tres doucement, devant la tienne.

Viens lentement t'asseoir
Pres du parterre, dont le soir
Ferme les fleurs de tranquille lumiere,
Laisse filtrer la grande nuit en toi:
Nous sommes trop heureux pour que sa mer d'effroi
Trouble notre priere.

La-haut, le pur cristal des etoiles s'eclaire.
Voici le firmament plus net et translucide
Qu'un etang bleu ou qu'un vitrail d'abside;
Et puis voici le ciel qui regarde a travers.

Les mille voix de l'enorme mystere
Parlent autour de toi.
Les mille lois de la nature entiere
Bougent autour de toi,
Les arcs d'argent de l'invisible
Prennent ton ame et son elan pour cible,
Mais tu n'as peur, oh! simple coeur,
Mais tu n'as peur, puisque ta foi
Est que toute la terre collabore
A cet amour que fit eclore
La vie et son mystere en toi.

Joins donc les mains tranquillement
Et doucement adore;
Un grand conseil de purete
Et de divine intimite
Flotte, comme une etrange aurore,
Sous les minuits du firmament.

Combien elle est facilement ravie,
Avec ses yeux d'extase ignee,
Elle, la douce et resignee
Si simplement devant la vie.

Ce soir, comme un regard la surprenait fervente,
Et comme un mot la transportait
Au pur jardin de joie, ou elle etait
Tout a la fois reine et servante.

Humble d'elle, mais ardente de nous,
C'etait a qui ploierait les deux genoux,
Pour recueillir le merveilleux bonheur
Qui, mutuel, nous debordait du coeur.

Nous ecoutions se taire, en nous, la violence
De l'exaltant amour qu'emprisonnaient nos bras
Et le vivant silence
Dire des mots que nous ne savions pas.

Au temps ou longuement j'avais souffert
Ou les heures m'etaient des pieges,
Tu m'apparus l'accueillante lumiere
Qui luit, aux fenetres, l'hiver,
Au fonds des soirs, sur de la neige.

Ta clarte d'ame hospitaliere
Frola, sans le blesser, mon coeur,
Comme une main de tranquille chaleur;
Un espoir tiede, un mot clement,
Penetrerent en moi tres lentement;

Puis vint la bonne confiance
Et la franchise et la tendresse et l'alliance,
Enfin, de nos deux mains amies,
Un soir de claire entente et de douce accalmie.

Depuis, bien que l'ete ait succede au gel,
En nous-memes et sous le ciel,
Dont les flammes eternisees
Pavoisent d'or tous les chemins de nos pensees,
Et que l'amour soit devenu la fleur immense,
Naissant du fier desir,
Qui, sans cesse, pour mieux encor grandir,
En notre coeur, se recommence,
Je regarde toujours la petite lumiere
Qui me fut douce, la premiere.

Je ne detaille pas, ni quels nous sommes
L'un pour l'autre, ni les pourquois, ni les raisons:
Tout doute est mort, en ce jardin de floraisons
Qui s'ouvre en nous et hors de nous, si loin des hommes.

Je ne raisonne pas, et ne veux pas savoir,
Et rien ne troublera ce qui n'est que mystere
Et qu'elans doux et que ferveur involontaire
Et que tranquille essor vers nos parvis d'espoir.

Je te sens claire avant de te comprendre telle;
Et c'est ma joie, infiniment,
De m'eprouver si doucement aimant,
Sans demander pourquoi ta voix m'appelle.

Soyons simples et bons—et que le jour
Nous soit tendresse et lumiere servies,
Et laissons dire que la vie
N'est point faite pour un pareil amour.

A ces reines qui lentement descendent
Les escaliers en ors et fleurs de la legende,
Dans mon reve, parfois, je t'apparie;
Je te donne des noms qui se marient
A la clarte, a la splendeur et a la joie,
Et bruissent en syllabes de soie,
Au long des vers batis comme une estrade
Pour la danse des mots et leurs belles parades.

Mais combien vite on se lasse du jeu,
A te voir douce et profonde et si peu
Celle dont on enjolive les attitudes;
Ton front si clair et pur et blanc de certitude,
Tes douces mains d'enfant en paix sur tes genoux,
Tes seins se soulevant au rythme de ton pouls
Qui bat comme ton coeur immense et ingenu,
Oh! comme tout, hormis cela et ta priere,
Oh! comme tout est pauvre et vain, hors la lumiere
Qui me regarde et qui m'accueille en tes yeux nus.

Je dedie a tes pleurs, a ton sourire,
Mes plus douces pensees,
Celles que je te dis, celles aussi
Qui demeurent imprecisees
Et trop profondes pour les dire.

Je dedie a tes pleurs, a ton sourire
A toute ton ame, mon ame,
Avec ses pleurs et ses sourires
Et son baiser.

Vois-tu, l'aurore nait sur la terre effacee,
Des liens d'ombre semblent glisser
Et s'en aller, avec melancolie;
L'eau des etangs s'ecoule et tamise son bruit,
L'herbe s'eclaire et les corolles se deplient,
Et les bois d'or se desenlacent de la nuit.

Oh! dis, pouvoir un jour,
Entrer ainsi dans la pleine lumiere;
Oh! dis, pouvoir un jour
Avec toutes les fleurs de nos ames tremieres,
Sans plus aucun voile sur nous,
Sans plus aucun mystere en nous,
Oh dis, pouvoir, un jour,
Entrer a deux dans le lucide amour!

Je noie en tes deux yeux mon ame toute entiere
Et l'elan fou de cette ame eperdue,
Pour que, plongee en leur douceur et leur priere,
Plus claire et mieux trempee, elle me soit rendue.

S'unir pour epurer son etre,
Comme deux vitraux d'or en une meme abside
Croisent leurs feux differemment lucides
Et se penetrent!

Je suis parfois si lourd, si las,
D'etre celui qui ne sait pas
Etre parfait, comme il se veut!
Mon coeur se bat contre ses voeux,
Mon coeur dont les plantes mauvaises,
Entre des rocs d'entetement,
Dressent, sournoisement,
Leurs fleurs d'encre ou de braise;
Mon coeur si faux, si vrai, selon les jours,
Mon coeur contradictoire,
Mon coeur exagere toujours
De joie immense ou de crainte attentatoire.

Pour nous aimer des yeux,
Lavons nos deux regards, de ceux
Que nous avons croises, par milliers, dans la vie
Mauvaise et asservie.

L'aube est en fleur et en rosee
Et en lumiere tamisee
Tres douce:
On croirait voir de molles plumes
D'argent et de soleil, a travers brumes,
Froler et caresser, dans le jardin, les mousses.

Nos bleus et merveilleux etangs
Tremblent et s'animent d'or miroitant,
Des vols emeraudes, sous les arbres, circulent;
Et la clarte, hors des chemins, des clos, des haies,
Balaie
La cendre humide, ou traine encor le crepuscule.

Au clos de notre amour, l'ete se continue:
Un paon d'or, la-bas traverse une avenue;
Des petales pavoisent,
—Perles, emeraudes, turquoises—
L'uniforme sommeil des gazons verts;
Nos etangs bleus luisent, couverts
Du baiser blanc des nenuphars de neige;
Aux quinconces, nos groseillers font des corteges;

Un insecte de prisme irrite un coeur de fleur;
De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs;
Et, comme des bulles legeres, mille abeilles
Sur des grappes d'argent, vibrent, au long des treilles.

L'air est si beau qu'il parait chatoyant;
Sous les midis profonds et radiants,
On dirait qu'il remue en roses de lumiere;
Tandis qu'au loin, les routes coutumieres,
Telles de lents gestes qui s'allongent vermeils,
A l'horizon nacre, montent vers le soleil.

Certes, la robe en diamants du bel ete
Ne vet aucun jardin d'aussi pure clarte;
Et c'est la joie unique eclose en nos deux ames
Qui reconnait sa vie en ces bouquets de flammes.

Que tes yeux clairs, tes yeux d'ete,
Me soient, sur terre,
Les images de la bonte.

Laissons nos ames embrasees
Exalter d'or chaque flamme de nos pensees.

Que mes deux mains contre ton coeur
Te soient, sur terre,
Les emblemes de la douceur.

Vivons pareils a deux prieres eperdues
L'une vers l'autre, a toute heure, tendues.

Que nos baisers sur nos bouches ravies
Nous soient sur terre,
Les symboles de notre vie.

Dis-moi, ma simple et ma tranquille amie,
Dis, combien l'absence, meme d'un jour,
Attriste et attise l'amour
Et le reveille, en ses brulures endormies.

Je m'en vais au devant de ceux
Qui reviennent des lointains merveilleux,
Ou, des l'aube, tu es allee;
Je m'assieds sous un arbre, au detour de l'allee,

Et, sur la route, epiant leur venue,
Je regarde et regarde, avec ferveur, leurs yeux
Encore clairs de t'avoir vue.

Et je voudrais baiser leurs doigts qui t'ont touchee,
Et leur crier des mots qu'ils ne comprendraient pas,
Et j'ecoute longtemps se cadencer leurs pas
Vers l'ombre, ou les vieux soirs tiennent la nuit penchee.

En ces heures ou nous sommes perdus
Si loin de tout ce qui n'est pas nous-memes.
Quel sang lustral ou quel bapteme
Baigne nos coeurs vers tout l'amour tendus?

Joignant les mains, sans que l'on prie,
Tendant les bras, sans que l'on crie,
Mais adorant on ne sait quoi
De plus lointain et de plus pur que soi,
L'esprit fervent et ingenu,
Dites, comme on se fond, comme on se vit dans l'inconnu.

Comme on s'abime en la presence
De ces heures de supreme existence,
Comme l'ame voudrait des cieux
Pour y chercher de nouveaux dieux,
Oh! l'angoissante et merveilleuse joie
Et l'esperance audacieuse
D'etre, un jour, a travers la mort meme, la proie
De ces affres silencieuses.

Oh! ce bonheur
Si rare et si frele parfois
Qu'il nous fait peur!

Nous avons beau taire nos voix,
Et nous faire comme une tente,
Avec toute ta chevelure,
Pour nous creer un abri sur,
Souvent l'angoisse en nos ames fermente.

Mais notre amour etant comme un ange a genoux,
Prie et supplie,
Que l'avenir donne a d'autres que nous
Meme tendresse et meme vie,
Pour que leur sort de notre sort ne soit jaloux.

Et puis, aux jours mauvais, quand les grands soirs
Illimitent, jusques au ciel, le desespoir,
Nous demandons pardon a la nuit qui s'enflamme
De la douceur de notre ame.

Vivons, dans notre amour et notre ardeur,
Vivons si hardiment nos plus belles pensees
Qu'elles s'entrelacent, harmonisees
A l'extase supreme et l'entiere ferveur.

Parce qu'en nos ames pareilles,
Quelque chose de plus sacre que nous
Et de plus pur et de plus grand s'eveille,
Joignons les mains pour l'adorer a travers nous.

Il n'importe que nous n'ayons que cris ou larmes
Pour humblement le definir,
Et que si rare et si puissant en soit le charme,
Qu'a le gouter, nos coeurs soient prets a defaillir.

Restons quand meme et pour toujours, les fous
De cet amour presqu'implacable,
Et les fervents, a deux genoux,
Du Dieu soudain qui regne en nous,
Si violent et si ardemment doux
Qu'il nous fait mal et nous accable.

Sitot que nos bouches se touchent,
Nous nous sentons tant plus clairs de nous-memes
Que l'on dirait des Dieux qui s'aiment
Et qui s'unissent en nous-memes;

Nous nous sentons le coeur si divinement frais
Et si renouvele par leur lumiere
Premiere
Que l'univers, sous leur clarte, nous apparait.

La joie est a nos yeux l'unique fleur du monde
Qui se prodigue et se feconde,
Innombrable, sur nos routes d'en bas;
Comme la haut, par tas,
En des pays de soie ou voyagent des voiles
Brille la fleur myriadaire des etoiles.

L'ordre nous eblouit, comme les feux, la cendre,
Tout nous eclaire et nous parait: flambeau;
Nos plus simples mots ont un sens si beau
Que nous les repetons pour les sans cesse entendre.

Nous sommes les victorieux sublimes
Qui conquerons l'eternite,
Sans nul orgueil et sans songer au temps minime:
Et notre amour nous semble avoir toujours ete.

Pour que rien de nous deux n'echappe a notre etreinte,
Si profonde qu'elle en est sainte
Et qu'a travers le corps meme, l'amour soit clair,
Nous descendons ensemble au jardin de ta chair.

Tes seins sont la, ainsi que des offrandes,
Et tes deux mains me sont tendues;
Et rien ne vaut la naive provende
Des paroles dites et entendues.

L'ombre des rameaux blancs voyage
Parmi ta gorge et ton visage
Et tes cheveux denouent leur floraison,
En guirlandes, sur les gazons.

La nuit est toute d'argent bleu,
La nuit est un beau lit silencieux,
La nuit douce, dont les brises vont, une a une,
Effeuiller les grands lys dardes au clair de lune.

Bien que deja, ce soir,
L'automne
Laisse aux sentes et aux orees,
Comme des mains dorees,
Lentes, les feuilles choir;
Bien que deja l'automne,
Ce soir, avec ses bras de vent,
Moissonne
Sur les rosiers fervents,
Les petales et leur paleur,
Ne laissons rien de nos deux ames
Tomber soudain avec ces fleurs.

Mais tous les deux autour des flammes
De l'atre en or du souvenir,
Mais tous les deux blottissons-nous,
Les mains au feu et les genoux.

Contre les deuils a craindre ou a venir,
Contre le temps qui fixe a toute ardeur sa fin,
Contre notre terreur, contre nous-memes, enfin,
Blottissons-nous, pres du foyer,
Que la memoire en nous fait flamboyer.

Et si l'automne obere
A grands pans d'ombre et d'orages planants,
Les bois, les pelouses et les etangs,
Que sa douleur du moins n'altere
L'interieur jardin tranquillise,
Ou s'unissent, dans la lumiere,
Les pas egaux de nos pensees.

Le don du corps, lorsque l'ame est donnee
N'est rien que l'aboutissement
De deux tendresses entrainees
L'une vers l'autre, eperdument.

Tu n'es heureuse de ta chair
Si simple, en sa beaute natale,
Que pour, avec ferveur, m'en faire
L'offre complete et l'aumone totale.

Et je me donne a toi, ne sachant rien
Sinon que je m'exalte a te connaitre,
Toujours meilleure et plus pure peut-etre
Depuis que ton doux corps offrit sa fete au mien.

L'amour, oh! qu'il nous soit la clairvoyance
Unique, et l'unique raison du coeur,
A nous, dont le plus fol bonheur
Est d'etre fous de confiance.

Fut-il en nous une seule tendresse,
Une pensee, une joie, une promesse,
Qui n'allat, d'elle-meme, au devant de nos pas?

Fut-il une priere en secret entendue,
Dont nous n'ayons serre les mains tendues
Avec douceur, sur notre sein?

Fut-il un seul appel, un seul dessein,
Un voeu tranquille ou violent
Dont nous n'ayons epanoui l'elan?

Et, nous aimant ainsi,
Nos coeurs s'en sont alles, tels des apotres,
Vers les doux coeurs timides et transis
Des autres:
Ils les ont convies, par la pensee,
A se sentir aux notres fiances,
A proclamer l'amour avec des ardeurs franches,
Comme un peuple de fleurs aime la meme branche
Qui le suspend et le baigne dans le soleil;
Et notre ame, comme agrandie, en cet eveil,
S'est mise a celebrer tout ce qui aime,
Magnifiant l'amour pour l'amour meme,
Et a cherir, divinement, d'un desir fou,
Le monde entier qui se resume en nous.

Le beau jardin fleuri de flammes
Qui nous semblait le double ou le miroir,
Du jardin clair que nous portions dans l'ame,
Se cristallise en gel et or, ce soir.

Un grand silence blanc est descendu s'asseoir
La-bas, aux horizons de marbre,
Vers ou s'en vont, par defiles, les arbres
Avec leur ombre immense et bleue
Et reguliere, a cote d'eux.

Aucun souffle de vent, aucune haleine.
Les grands voiles du froid,
Se deplient seuls, de plaine en plaine,
Sur des marais d'argent ou des routes en croix.

Les etoiles paraissent vivre.
Comme l'acier, brille le givre,
A travers l'air translucide et glace.
De clairs metaux pulverises
A l'infini, semblent neiger
De la paleur d'une lune de cuivre.
Tout est scintillement dans l'immobilite.

Et c'est l'heure divine, ou l'esprit est hante
Par ces mille regards que projette sur terre,
Vers les hasards de l'humaine misere,
La bonne et pure et inchangeable eternite.

S'il arrive jamais
Que nous soyons, sans le savoir,
Souffrance ou peine ou desespoir,
L'un pour l'autre; s'il se faisait
Que la fatigue ou le banal plaisir
Detendissent en nous l'arc d'or du haut desir;
Si le cristal de la pure pensee
De notre amour doit se briser,

Si malgre tout, je me sentais
Vaincu pour n'avoir pas ete
Assez en proie a la divine immensite
De la bonte;
Alors, oh! serrons-nous comme deux fous sublimes
Qui sous les cieux casses, se cramponnent aux cimes
Quand meme.—Et d'un unique essor
L'ame en soleil, s'exaltent dans la mort.