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CE PETIT LIVRE D'AMOUR ANTIQUE EST DEDIE RESPECTUEUSEMENT AUX JEUNES FILLES DE LA SOCIETE FUTURE
Bilitis naquit au commencement du sixieme siecle avant notre ere, dans un village de montagnes situe sur les bords du Melas, vers l'orient de la Pamphylie. Ce pays est grave et triste, assombri par des forets profondes, domine par la masse enorme du Taurus; des sources petrifiantes sortent de la roche; de grands lacs sales sejournent sur les hauteurs, et les vallees sont pleines de silence.
Elle etait fille d'un Grec et d'une Phenicienne. Elle semble n'avoir pas connu son pere, car il n'est mele nulle part aux souvenirs de son enfance. Peut-etre meme etait-il mort avant qu'elle ne vint au monde. Autrement on s'expliquerait mal comment elle porte un nom phenicien que sa mere seule lui put donner.
Sur cette terre presque deserte, elle vivait d'une vie tranquille avec sa mere et ses soeurs. D'autres jeunes filles, qui furent ses amies, habitaient non loin de la. Sur les pentes boisees du Taurus, des bergers paissaient leurs troupeaux.
Le matin, des le chant du coq, elle se levait, allait a l'etable, menait boire les animaux et s'occupait de traire leur lait. Dans la journee, s'il pleuvait, elle restait au gynecee et filait sa quenouille de laine. Si le temps etait beau, elle courait dans les champs et faisait avec ses compagnes mille jeux dont elle nous parle.
Bilitis avait a l'egard des Nymphes une piete tres ardente. Les sacrifices qu'elle offrait, presque toujours etaient pour leur fontaine. Souvent meme elle leur parlait, mais il semble bien qu'elle ne les a jamais vues, tant elle rapporte avec veneration les souvenirs d'un vieillard qui autrefois les avait surprises.
La fin de son existence pastorale fut attristee par un amour sur lequel nous savons peu de chose bien qu'elle en parle longuement. Elle cessa de le chanter des qu'il devint malheureux. Devenue mere d'un enfant qu'elle abandonna, Bilitis quitta la Pamphylie, d'une facon assez mysterieuse, et ne revit jamais le lieu de sa naissance.
Nous la retrouvons ensuite a Mytilene ou elle etait venue par la route de mer en longeant les belles cotes d'Asie. Elle avait a peine seize ans, selon les conjectures de M. Heim qui etablit avec vraisemblance quelques dates dans la vie de Bilitis, d'apres un vers qui fait allusion a la mort de Pittakos.
Lesbos etait alors le centre du monde. A mi-chemin, entre la belle Attique et la fastueuse Lydie, elle avait pour capitale une cite plus eclairee qu'Athenes et plus corrompue que Sardes: Mytilene, batie sur une presqu'ile en vue des cotes d'Asie. La mer bleue entourait la ville. De la hauteur des temples on distinguait a l'horizon la ligne blanche d'Atarnee qui etait le port de Pergame.
Les rues etroites et toujours encombrees par la foule resplendissaient d'etoffes bariolees, tuniques de pourpre et d'hyacinthe, cyclas de soies transparentes, bassaras trainantes dans la poussiere des chaussures jaunes. Les femmes portaient aux oreilles de grands anneaux d'or enfiles de perles brutes, et aux bras des bracelets d'argent massif grossierement ciseles en relief. Les hommes eux-memes avaient la chevelure brillante et parfumee d'huiles rares. Les chevilles des Grecques etaient nues dans le cliquetis des periscelis, larges serpents de metal clair qui tintaient sur les talons; celles des Asiatiques se mouvaient en des bottines molles et peintes. Par groupes, les passants stationnaient devant des boutiques tout en facade et ou l'on ne vendait que l'etalage: tapis de couleurs sombres, housses brochees de fils d'or, bijoux d'ambre et d'ivoire, selon les quartiers. L'animation de Mytilene ne cessait pas avec le jour; il n'y avait pas d'heure si tardive, ou l'on n'entendit, par les portes ouvertes, des sons joyeux d'instruments, des cris de femmes, et le bruit des danses. Pittakos meme, qui voulait donner un peu d'ordre a cette perpetuelle debauche, fit une loi qui defendait aux joueuses de flutes trop fatiguees de s'employer dans les festins nocturnes; mais cette loi ne fut jamais severe.
Dans une societe ou les maris sont la nuit si occupes par le vin et les danseuses, les femmes devaient fatalement se rapprocher et trouver entre elles la consolation de leur solitude. De la vint qu elles s'attendrirent a ces amours delicates, auxquelles l'antiquite donnait deja leur nom, et qui entretiennent, quoi qu'en pensent les hommes, plus de passion vraie que de vicieuse recherche.
Alors, Sappho etait encore belle. Bilitis l'a connue, et elle nous parle d'elle sous le nom de Psappha quelle portait a Lesbos. Sans doute ce fut cette femme admirable qui apprit a la petite Pamphylienne l'art de chanter en phrases rhythmees, et de conserver a la posterite le souvenir des etres chers. Malheureusement Bilitis donne peu de details sur cette figure aujourd'hui si mal connue, et il y a lieu de le regretter, tant le moindre mot eut ete precieux touchant la grande Inspiratrice. En revanche elle nous a laisse en une trentaine d'elegies l'histoire de son amitie avec une jeune fille de son age qui se nommait Mnasidika, et qui vecut avec elle. Deja nous connaissions le nom de cette jeune fille par un vers de Sappho ou sa beaute est exaltee ; mais ce nom meme etait douteux, et Bergk etait pres de penser qu'elle s'appelait simplement Mnais. Les chansons qu'on lira plus loin prouvent que cette hypothese doit etre abandonnee. Mnasidika semble avoir ete une petite fille tres douce et tres innocente, un de ces etres charmants qui ont pour mission de se laisser adorer, d'autant plus cheris qu'ils font moins d'efforts pour meriter ce qu'on leur donne. Les amours sans motifs durent le plus longtemps: celui-ci dura dix annees. On verra comment il se rompit par la faute de Bilitis, dont la jalousie excessive ne comprenait aucun eclectisme.
Quand elle sentit que rien ne la retenait plus a Mytilene, sinon des souvenirs douloureux, Bilitis fit un second voyage: elle se rendit a Chypre, ile grecque et phenicienne comme la Pamphylie elle-meme et qui dut lui rappeler souvent l'aspect de son pays natal.
Ce fut la que Bilitis recommenca pour la troisieme fois sa vie, et d'une facon qu'il me sera plus difficile de faire admettre si l'on na pas encore compris a quel point l'amour etait chose sainte chez les peuples antiques. Les courtisanes d'Amathonte n'etaient pas comme les notres, des creatures en decheance exilees de toute societe mondaine; c'etaient des filles issues des meilleures familles de la cite, et qui remerciaient Aphrodite de la beaute qu'elle leur avait donnee, en consacrant au service de son culte cette beaute reconnaissante. Toutes les villes qui possedaient comme celles de Chypre un temple riche en courtisanes avaient a l'egard de ces femmes les memes soins respectueux.
L'incomparable histoire de Phryne, telle qu'Athenee nous l'a transmise, donnera quelque idee d'une telle veneration. Il n'est pas vrai qu'Hyperide eut besoin de la mettre nue pour flechir l'Areopage, et pourtant le crime etait grand: elle avait assassine. L'orateur ne dechira que le haut de sa tunique et revela seulement les seins. Et il supplia les Juges ((de ne pas mettre a mort la pretresse et l'inspiree d'Aphrodite)). Au contraire des autres courtisanes qui sortaient vetues de cyclas transparentes a travers lesquelles paraissaient tous les details de leur corps, Phryne avait coutume de s'envelopper meme les cheveux dans un de ces grands vetements plisses dont les figurines de Tanagre nous ont conserve la grace. Nul, s'il n'etait de ses amis, n'avait vu ses bras ni ses epaules, et jamais elle ne se montrait dans la piscine des bains publics. Mais un jour il se passa une chose extraordinaire. C'etait le jour des fetes d'Eleusis, vingt mule personnes, venues de tous les pays de la Grece, etaient assemblees sur la plage, quand Phryne s'avanca pres des vagues: elle ota son vetement, elle defit sa ceinture, elle ota meme sa tunique de dessous, ((elle deroula tous ses cheveux et elle entra dans la mer)). Et dans cette foule il y avait Praxitele qui d'apres cette deesse vivante dessina l'_Aphrodite de Cnide; et Apelle qui entrevit la forme de son Anadyomene. Peuple admirable, devant qui la Beaute pouvait paraitre nue sans exciter le rire ni la fausse honte!
Je voudrais que cette histoire fut celle de Bilitis, car, en traduisant ses Chansons, je me suis pris a aimer l'amie de Mnasidika. Sans doute sa vie fut tout aussi merveilleuse. Je regrette seulement qu'on n'en ait pas parle davantage et que les auteurs anciens, ceux du moins qui ont survecu, soient si pauvres de renseignements sur sa personne. Philodeme, qui l'a pillee deux fois, ne mentionne pas meme son nom. A defaut de belles anecdotes, je prie qu'on veuille bien se contenter des details qu'elle nous donne elle-meme sur sa vie de courtisane. Elle fut courtisane, cela n'est pas niable; et meme ses dernieres chansons prouvent que si elle avait les vertus de sa vocation, elle en avait aussi les pires faiblesses. Mais je ne veux connaitre que ses vertus. Elle etait pieuse, et meme pratiquante. Elle demeura fidele au temple, tant qu'Aphrodite consentit a prolonger la jeunesse de sa plus pure adoratrice. Le jour ou elle cessa d'etre aimee, elle cessa d'ecrire, dit-elle. Pourtant il est difficile d'admettre que les chansons de Pamphylie aient ete ecrites a l'epoque ou elles ont ete vecues. Comment une petite bergere de montagnes eut-elle appris a scander ses vers selon les rythmes difficiles de la tradition eolienne? On trouvera plus vraisemblable que, devenue vieille, elle se plut a chanter pour elle-meme les souvenits de sa lointaine enfance. Nous ne savons rien sur cette derniere periode de sa vie. Nous ne savons meme pas a quel age elle mourut.
Son tombeau a ete retrouve par M. G. Heim a Palaeo-Limisso, sur le bord d'une route antique, non loin des ruines d'Amathonte. Ces ruines ont presque disparu depuis trente ans, et les pierres de la maison ou peut-etre vecut Bilitis pavent aujourd'hui les quais de Port-Said. Mais le tombeau etait souterrain, selon la coutume phenicienne, et il avait echappe meme aux voleurs de tresors.
M. Heim y penetra par un puits etroit comble de terre, au fond duquel il rencontra une porte muree qu'il fallut demolir. Le caveau spacieux et bas, pave de dalles de calcaire, avait quatre murs recouverts par des plaques d'amphibolite noire, ou etaient gravees en capitales primitives toutes les chansons qu'on va lire, a part les trois epitaphes qui decoraient le sarcophage.
C'etait la que reposait l'amie de Mnasidika, dans un grand cercueil de terre cuite, sous un couvercle modele par un statuaire delicat qui avait figure dans l'argile le visage de la morte : les cheveux etaient peints en noir, les yeux a demi fermes et prolonges au crayon comme si elle eut ete vivante, et la joue a peine attendrie par un sourire leger qui naissait des lignes de la bouche. Rien ne dira jamais ce qu'etaient ces levres, a la fois nettes et rebordees, molles et fines, unies l'une a l'autre, et comme enivrees de se joindre. Les traits celebres de Bilitis ont ete souvent reproduits par les artistes de l'Ionie, et le musee du Louvre possede une terre cuite de Rhodes qui en est le plus parfait monument, apres le buste de Larnaka.
Quand on ouvrit la tombe, elle apparut dans l'etat ou une main pieuse l'avait rangee, vingt-quatre siecles auparavant. Des fioles de parfums pendaient aux chevilles de terre, et l'une d'elles, apres si longtemps, etait encore embaumee. Le miroir d'argent poli ou Bilitis s'etait vue, le stylet qui avait traine le fard bleu sur ses paupieres, furent retrouves a leur place. Une petite Astarte nue, relique a jamais precieuse, veillait toujours sur le squelette orne de tous ses bijoux d'or et blanc comme une branche de neige, mais si doux et si fragile qu'au moment ou on l'effleura, il se confondit en poussiere.
PIERRE LOUYS
Constantine, Aout 1894.
(Hady`de'moi to`me'lisma. kai` e'n sy'rhiggi meli'sd_o
k_e'n aul_o*i lale'_o, k_e'n d_o'naki, k_e'n plagiau'l_o*i.)
THEOCRITE.
1 — L'ARBRE
Je me suis devetue pour monter a un arbre;
mes cuisses nues embrassaient l'ecorce lisse
et humide; mes sandales marchaient sur les
branches.
Tout en haut, mais encore sous les feuilles
et a l'ombre de la chaleur, je me suis mise a
cheval sur une fourche ecartee en balancant
mes pieds dans le vide.
Il avait plu. Des gouttes d'eau tombaient et
coulaient sur ma peau. Mes mains etaient
tachees de mousse, et mes orteils etaient
rouges, a cause des fleurs ecrasees.
Je sentais le bel arbre vivre quand le vent
passait au travers; alors je serrais mes
jambes davantage et j'appliquais mes levres
ouvertes sur la nuque chevelue d'un rameau.
2 — CHANT PASTORAL
Il faut chanter un chant pastoral, invoquer
Pan, dieu du vent d'ete. Je garde mon
troupeau et Selenis le sien, a l'ombre ronde
d'un olivier qui tremble.
Selenis est couchee sur le pre. Elle se
leve et court, ou cherche des cigales, ou
cueille des fleurs avec des herbes, ou lave
son visage dans l'eau fraiche du ruisseau.
Moi, j'arrache la laine au dos blond des
moutons pour en garnir ma quenouille, et je
file. Les heures sont lentes. Un aigle
passe dans le ciel.
L'ombre tourne: changeons de place la corbeille
de figues et la jarre de lait. Il faut chanter
un chant pastoral, invoquer Pan, dieu du vent d'ete.
3 — PAROLES MATERNELLES
Ma mere me baigne dans l'obscurite, elle
m'habille au grand soleil et me coiffe dans
la lumiere; mais si je sors au clair de lune,
elle serre ma ceinture et fait un double
noeud.
Elle me dit: ((Joue avec les vierges, danse
avec les petits enfants; ne regarde pas par
la fenetre; fuis la parole des jeunes hommes
et redoute le conseil des veuves.
((Un soir, quelqu'un, comme pour toutes, te
viendra prendre sur le seuil au milieu d'un
grand cortege de tympanons sonores et de
flutes amoureuses.
((Ce soir-la, quand tu t'en iras, Bilito, tu
me laisseras trois gourdes de fiel: une pour
le matin, une pour le midi, et la troisieme,
la plus amere, la troisieme pour les jours de
fete.))
4 — LES PIEDS NUS
J'ai les cheveux noirs, le long de mon dos,
et une petite calotte ronde. Ma chemise est
de laine blanche. Mes jambes fermes
brunissent au soleil.
Si j'habitais la ville, j'aurais des bijoux d'or,
et des chemises dorees et des souliers d'argent...
Je regarde mes pieds nus, dans leurs souliers
de poussiere.
Psophis! viens ici, petite pauvre! porte-moi
jusqu'aux sources, lave mes pieds dans tes
mains et presse des olives avec des violettes
pour les parfumer sur les fleurs.
Tu seras aujourd'hui mon esclave; tu me
suivras et tu me serviras, et a la fin dela
journee je te donnerai, pour ta mere, des
lentilles du jardin de la mienne.
5 — LE VIEILLARD ET LES NYMPHES
Un vieillard aveugle habite la montagne.
Pour avoir regarde les nymphes, ses yeux sont
morts, voila longtemps. Et depuis, son
bonheur est un souvenir lointain.
((Oui, je les ai vues, m'a-t-il dit.
Helopsychria, Limnanthis; elle etaient
debout, pres du bord, dans l'etang vert de
Physos. L'eau brillait plus haut que leurs
genoux.
((Leurs nuques se penchaient sous les
cheveux longs. Leurs ongles etaient minces
comme des ailes de cigales. Leurs mamelons
etaient creux comme des calices de jacinthes.
((Elles promenaient leurs doigts sur l'eau
et tiraient de la vase invisible les nenufars
a longue tige. Autour de leurs cuisses separees,
des cercles lents s'elargissaient...))
6 — CHANSON
((Torti-tortue, que fais-tu la au milieu?
—Je devide la laine et le fil de Milet.
—He las Helas! Que ne viens-tu danser?
—J'ai beaucoup de chagrin. J'ai beaucoup de chagrin.
—Torti-tortue, que fais-tu la au milieu?
—Je taille un roseau pour la flute funebre.
—Helas! Helas! Qu'est-il arrive!
—Je ne le dirai pas. Je ne le dirai pas.
—Torti-tortue, que fais-tu la au milieu?
—Je presse les olives pour l'huile de la stele.
—Helas! Helas! Et qui donc est mort?
—Peux-tu le demander? Peux-tu le demander?
—Torti-tortue, que fais-tu la au milieu?
—Il est tombe dans la mer...
—Helas! Helas! et comment cela?
—Du haut des chevaux blancs. Du haut des chevaux blancs))
7 — LE PASSANT
Comme j'etais assise le soir devant la porte
de la maison, un jeune homme est venu a
passer. Il m'a regardee, j'ai tourne la
tete. Il m'a parle, je n'ai pas repondu.
Il a voulu m'approcher. J'ai pris une faulx
contre le mur et je lui aurais fendu la joue
s'il avait avance d'un pas.
Alors reculant un peu, il se mit a sourire et
souffla vers moi dans sa main, disant. ((Recois
le baiser.)) Et j'ai crie' et j'ai pleure.
Tant, que ma mere est accourue.
Inquiete, croyant que j'avais ete piquee par
un scorpion. Je pleurais ((Il m'a embrassee.))
Ma mere aussi m'a embrassee et m'a emportee
dans ses bras.
8 — LE REVEIL
Il fait deja grand jour. Je devrais etre
levee. Mais le sommeil du matin est doux et
la chaleur du lit me retient blottie. Je
veux rester couchee encore.
Tout a l'heure j'irai dans l'etable. Je
donnerai aux chevres de l'herbe et des
fleurs, et l'outre d'eau fraiche tiree du
puits, ou je boirai en meme temps qu'elles.
Puis je les attacherai au poteau pour traire
leurs douces mamelles tiedes; et si les
chevreaux n'en sont pas jaloux, je sucerai
avec eux les tettes assouplies.
Amaltheia n'a-t-elle pas nourri Dzeus?
J'irai donc. Mais pas encore. Le soleil
s'est leve trop tot et ma mere n'est pas
eveillee.
9 — LA PLUIE
La pluie fine a mouille toutes choses, tres
doucement, et en silence. Il pleut encore un
peu. Je vais sortir sous les arbres. Pieds
nus, pour ne pas tacher mes chaussures.
La pluie au printemps est delicieuse. Les
branches chargees de fleurs mouillees ont un
parfum qui m'etourdit. On voit briller au
soleil la peau delicate des ecorces.
Helas! que de fleurs sur la terre! Ayez
pitie des fleurs tombees. Il ne faut pas les
balayer et les meler dans la boue; mais les
conserver aux abeilles.
Les scarabees et les limaces traversent le
chemin entre les flaques d'eau; je ne veux
pas marcher sur eux, ni effrayer ce lezard
dore qui s'etire et cligne des paupieres.
10 — LES FLEURS
Nymphes des bois et des fontaines, Amies
bienfaisantes, je suis la. Ne vous cachez pas,
mais venez m'aider car je suis fort en peine
de tant de fleurs cueillies.
Je veux choisir dans toute la foret une
pauvre hamadryade aux bras leves, et dans
ses cheveux couleur de feuilles je piquerai
ma plus lourde rose.
Voyez: j'en ai tant pris aux champs que
je ne pourrai les rapporter si vous ne m'en
faites un bouquet. Si vous refusez, prenez
garde:
Celle de vous qui a les cheveux oranges je
l'ai vue hier saillie comme une bete par le
satyre Lamprosathes, et je denoncerai
l'impudique.
11 — IMPATIENCE
Je me jetai dans ses bras en pleurant, et
longtemps elle sentit couler mes larmes
chaudes sur son epaule, avant que ma douleur
me laissat parler:
((Helas! je ne suis qu'une enfant; les
jeunes hommes ne me regardent pas. Quand
aurai-je comme toi des seins de jeune fille
qui gonflent la robe et tentent le baiser?
((Nul n'a les yeux curieux si ma tunique
glisse; nul ne ramasse une fleur qui tombe
de mes cheveux; nul ne dit qu'il me tuera si
ma bouche se donne a un autre.))
Elle m'a repondu tendrement: ((Bilitis,
petite vierge, tu cries comme une chatte a
la lune et tu t'agites sans raison. Les filles
les plus impatientes ne sont pas les plus tot
choisies.))
12 — LES COMPARAISONS
Bergeronnette, oiseau de Kypris, chante
avec nos premiers desirs! Le corps nouveau
des jeunes filles se couvre de fleurs comme
la terre. La nuit de tous nos reves approche
et nous en parlons entre nous.
Parfois nous comparons ensemble nos beautes
si differentes, nos chevelures deja longues,
nos jeunes seins encore petits, nos pubertes
rondes comme des cailles et blotties sous la
plume naissante.
Hier je luttai de la sorte contre Melantho
mon ainee. Elle etait fiere de sa poitrine qui
venait de croitre en un mois, et, montrant
ma tunique droite, elle m'avait appelee:
petite enfant.
Pas un homme ne pouvait nous voir, nous nous
mimes nues devant les filles, et, si elle
vainquit sur un point, je l'emportait de loin
sur les autres. Bergeronnette, oiseau de
Kypris, chante avec nos premiers desirs!
13 — LA RIVIERE DE LA FORET
Je me suis baignee seule dans la riviere
de la foret. Sans doute je faisais peur aux
naiades car je les devinais a peine et de
tres loin, sous l'eau obscure.
Je les ai appelees. Pour leur ressembler
tout a fait, j'ai tresse derriere ma nuque
des iris noirs comme mes cheveux, avec des
grappes de giroflees jaunes.
D'une longue herbe flottante, je me suie
fait une ceinture verte, et pour la voir je
pressais mes seins en penchant un peu la
tete.
Et j'appelais: ((Naiades! naiades! jouez
avec moi, soyez bonnes.)) Mais les naiades
sont transparentes, et peut-etre, sans le
savoir, j'ai caresse leurs bras legers.
14 — PHITTA MELIAI
Des que le soleil sera moins brulant nous
irons jouer sur les bords du fleuve, nous
lutterons pour un crocos frele et pour une
jacinthe mouillee.
Nous ferons le collier de la ronde et la
guirlande de la course. Nous nous prendrons
par la main et par la queue de nos tuniques.
Phitta Meliai! donnez-nous du miel. Phitta
Naiades! baignez-nous avec vous. Phitta
Meliades! donnez l'ombre douce a nos corps
en sueur.
Et nous vous offrirons, Nymphes bienfaisantes,
non le vin honteux, mais l'huile et le
lait et des chevres aux cornes courbes.
15 — LA BAGUE STMBOLIQUE
Les voyageurs qui reviennent de Sardes
parlent des colliers et des pierres qui
chargent les femmes de Lydie, du sommet de
leurs cheveux jusqu'a leurs pieds fardes.
Les filles de mon pays n'ont ni bracelets
ni diademes, mais leur doigt porte une
bague d'argent, et sur le chaton est grave
le triangle de la deesse.
Quand elles tournent la pointe en dehors
cela veut dire: Psyche a prendre. Quand
elles tournent la pointe en dedans, cela
veut dire: Psyche prise.
Les hommes y croient. Les femmes non.
Pour moi je ne regarde guere de quel cote
la pointe se tourne, car Psyche se delivre
aisement. Psyche est toujours a prendre.
16 — LES DANSES AU CLAIR DE LUNE
Sur l'herbe molle, dans la nuit, les jeunes
filles aux cheveux de violettes ont danse
toutes ensemble, et l'une de deux faisait les
reponses de l'amant.
Les vierges ont dit: ((Nous ne sommes pas pour
vous.)) Et comme si elles etaient honteuses
elles cachaient leur virginite. Un aegipan
jouait de la flute sous les arbres.
Les autres ont dit: ((Vous nous viendrez
chercher.)) Elles avaient serre leurs robes
en tunique d'homme, et elles luttaient sans
energie en melant leurs jambes dansantes.
Puis chacune se disant vaincue, a pris son
amie par les oreilles comme une coupe par les
deux anses, et, la tete penchee, a bu le
baiser.
17 — LES PETITS ENFANTS
La riviere est presque a sec; les joncs
fletris meurent dans la fange; l'air brule,
et loin des berges creuses, un ruisseau clair
coule sur les graviers.
C'est la que du matin au soir les petits
enfants nus viennent jouer. Ils se baignent,
pas plus haut que leurs mollets, tant la
riviere est basse.
Mais ils marchent dans le courant, et
glissent quelquefois sur les roches, et les
petits garcons jettent de l'eau sur les
petites filles qui rient.
Et quand une troupe de marchands qui passe,
mene boire au fleuve les enormes boeufs
blancs, ils croisent leurs mains derriere eux
et regardent les grandes betes.
18 — LES CONTES
Je suis aimee des petits enfants; des qu'ils
me voient, ils courent a moi, et s'accrochent
a ma tunique et prennent mes jambes dans
leurs petits bras.
S'ils ont cueilli des fleurs, ils me les donnent
toutes; s'ils ont pris un scarabee ils le
mettent dans ma main; s'ils n'ont rien ils me
caressent et me font asseoir devant eux.
Alors ils m'embrassent sur la joue, ils
posent leurs tetes sur mes seins; ils me
supplient avec les yeux. Je sais bien ce que
cela veut dire.
Cela veut dire: ((Bilitis cherie, dis-nous,
car nous sommes gentils, l'histoire du heros
Perseus ou la mort de la petite Helle.))
19 — L'AMIE MARIEE
Nos meres etaient grosses en meme temps et ce
soir elle s'est mariee, Melissa, ma plus
chere amie. Les roses sont encore sur la
route; les torches n'ont pas fini de bruler.
Et je reviens par le meme chemin, avec
maman, et je songe. Ainsi, ce qu'elle est
aujourd'hui, moi aussi j'aurais pu l'etre.
Suis-je deja si grande fille?
Le cortege, les flutes, le chant nuptial et
le char fleuri de l'epoux, toutes ces fetes,
un autre soir, se derouleront autour de moi,
parmi les branches d'olivier.
Comme a cette heure-meme Melissa, je me
devoilerai devant un homme, je connaitrai
l'amour dans la nuit, et plus tard des petits
enfants se nourriront a mes seins gonfles...
20 — LES CONFIDENCES
Le lendemain, je suis allee chez elle, et
nous avons rougi des que nous nous sommes
vues. Elle m'a fait entrer dans sa chambre
pour que nous fussions toutes seules.
J'avais beaucoup de choses a lui dire; mais
en la voyant j'oubliai. Je n'osais pas meme
me jeter a son cou, je regardais sa ceinture
haute.
Je m'etonnais que rien n'eut change sur son
visage, qu'elle semblat encore mon amie et
que cependant, depuis la veille, elle eut
appris tant de choses qui m'effarouchaient.
Soudain je m'assis sur ses genoux, je la pris
dans mes bras, je lui parlai a l'oreille
vivement, anxieusement. Alors elle mit sa
contre la mienne, et me dit tout.
21 — LA LUNE AUX YEUX BLEUS
La nuit, les chevelures des femmes et les
brandies des saules se confondent. Je
marchais au bord de l'eau. Tout a coup,
j'entendis chanter: alors seulement je
reconnus qu'il y avait la des jeunes filles.
Je leur dis: ((Que chantez-vous?)) Elles
repondirent: ((Ceux qui reviennent.)) L'une
attendait son pere et l'autre son frere; mais
celle qui attendait son fiance etait la plus
impatiente.
Elles avaient tresse pour eux des couronnes
et des guirlandes, coupe des palmes aux
palmiers et tire des lotus de l'eau. Elles
se tenaient par le cou et chantaient l'une
apres l'autre.
Je m'en allai le long du fleuve, tristement,
et toute seule, mais en regardant autour de
moi, je vis que derriere les grands arbres la
lune aux yeux bleus me reconduisait.
22 — REFLEXIONS (non traduite)
23 — CHANSON (Ombre du bois)
((Ombre du bois ou elle devait venir, dis-moi,
ou est allee ma maitresse?—Elle est
descendue dans la plaine.—Plaine, ou est
allee ma maitresse?—Elle a suivi les bords
du fleuve.
—Beau fleuve qui la vue passer, dis-moi,
est-elle pres d'ici?—Elle m'a quitte pour le
chemin.—Chemin, la vois-tu encore?—
Elle m'a laisse pour la route.
—O route blanche, route de la ville, dis-moi,
ou l'as-tu conduite?—A la rue d'or
qui entre a Sardes.—O rue de lumiere,
touches-tu ses pieds nus?—Elle est entree
au palais du roi.
—O palais, splendeur de la torre,
rends-la-moi!—Regarde, elle a des colliers
sur les seins et des houppes dans les
cheveux, cent perles le long des jambes,
deux bras autour de la taille.))
24 — LYKAS
Venez, nous irons dans les champs, sous les
buissons de genevriers; nous mangerons du
miel dans les ruches, nous ferons des pieges
a sauterelles avec des tiges d'asphodele.
Venez; nous irons voir Lykas, qui garde
les troupeaux de son pere sur les pentes du
Tauros ombreux. Surement il nous donnera
du lait.
J'entends deja le son de sa flute. C'est un
joueur fort habile. Voici les chiens et les
agneaux, et lui-meme, debout contre un arbre.
N'est-il pas beau comme Adonis!
O Lykas, donne-nous du lait. Voici des
figues de nos figuiers. Nous allons rester
avec toi. Chevres barbues, ne sautez pas, de
peur d'exciter les boucs inquiets.
25 — L'OFFRANDE A LA DEESSE
Ce n'est pas pour l'Artemis qu'on adore a
Perga, cette guirlande tressee par mes mains,
bien que l'Artemis soit une bonne deesse qui
me gardera des couches difficiles.
Ce n'est pas pour l'Athena qu'on adore a
Side, bien qu'elle soit d'ivoire et d'or et
qu'elle porte dans la main une pomme de
grenade qui tente les oiseaux.
Non, c'est pour l'Aphrodite que j'adore
dans ma poitrine, car elle seule me donnera
ce qui manque a mes levres, si je suspends
a l'arbre-sacre ma guirlande de tendres roses.
Mais je ne dirai pas tout haut ce que je la
supplie de m'accorder. Je me hausserai sur
la pointe des pieds et par la fente de
l'ecorce je lui confierai mon secret.
26 — L'AMIE COMPLAISANTE
L'orage a dure toute la nuit. Selenis aux
beaux cheveux etait venue filer avec moi. Elle
est restee de peur de la boue. Nous avons
entendu les prieres et serrees l'une contre
l'autre nous avons empli mon petit lit.
Quand les filles couchent a deux, le sommeil
reste a la porte. ((Bilitis, dis-moi,
dis-moi, qui tu aimes.)) Elle faisait glisser
sa jambe sur la mienne pour me caresser
doucement.
Et elle a dit, devant ma bouche: ((Je sais,
Bilitis, qui tu aimes. Ferme les yeux, je
suis Lykas.)) Je repondis en la touchant: ((Ne
vois-je pas bien que tu es fille? Tu
plaisantes mal a propos.))
Mais elle reprit: ((En verite, je suis Lykas,
si tu fermes les paupieres. Voila ses bras,
voila ses mains...)) Et tendrement, dans le
silence, elle enchanta ma reverie d'une
illusion singuliere.
27 — PRIERE A PERSEPHONE
Purifiees par les ablutions rituelles, et
vetues de tuniques violettes, nous avons
baisse vers la terre nos mains chargees de
branches d'olivier.
((O Persephone souterraine, ou quel que soit
le nom que tu desires, si ce nom t'agree ,
ecoute-nous, o Chevelue-de-tenebres, Reine
sterile et sans sourire!
((Kokhlis, fille de Thrasymakhos, est malade,
et dangereusement. Ne la rappelle pas
encore. Tu sais qu'elle ne peut t'echapper:
un jour, plus tard, tu la prendras.
((Mais ne l'entraine pas si vite, o Dominatrice
invisible! Car elle pleure sa virginite,
elle te supplie par nos prieres, et nous
donnerons pour la sauver trois brebis noires
non tondues.))
28 — LA PARTIE D'OSSELETS
Comme nous l'aimions tous les deux, nous
l'avons joue aux osselets. Et ce fut une
partie celebre. Beaucoup de jeunes filles y
assistaient.
Elle amena d'abord le coup des Kyklopes, et
moi, le coup de Solon. Mais elle le
Kallibolos, et moi, me sentant perdue, je
priais la deesse!
Je jouai, j'eus l'Epiphenon, elle le terrible
coup de Khios, moi l'Antiteukhos , elle le
Trikhias, et moi le coup d'Aphrodite qui
gagna l'amant dispute.
Mais la voyant palir, je la pris par le cou
et je lui dis tout pres de l'oreille (pour
qu'elle seule m'entendit): ((Ne pleure pas,
petite amie, nous le laisserons choisir entre
nous.))
29 — LA QUENOUILLE
Pour tout le jour ma mere m'a enfermee au
gynecee, avec mes soeurs que je n'aime pas et
qui parlent entre elles a voix basse. Moi,
dans un petit coin, je file ma quenouille.
Quenouille, puisque je suis seule avec toi,
c'est a toi que je vais parler. Avec la
perruque de laine blanche tu es comme une
vieille femme. Ecoute-moi.
Si je le pouvais, je ne serais pas ici,
assise dans l'ombre du mur et filant avec
ennui: je serais couchee dans les violettes
sur les pentes du Tauros.
Comme il est plus pauvre que moi, ma mere ne
veut pas qu'il m epouse. Et pourtant, je te
le dis: ou je ne verrai pas le jour des
noces, ou ce sera lui qui me fera passer le
seuil.
30 — LA FLUTE DE PAN
Pour le jour des Hyacinthies, il m'a donne
une syrinx faite de roseaux bien tailles,
unis avec de la blanche cire qui est douce a
mes levres comme du miel.
Il m'apprend a jouer, assise sur ses genoux;
mais je suis un peu tremblante. Il en joue
apres moi, si doucement que je l'entends a
peine.
Nous n'avons rien a nous dire, tant nous
sommes pres l'un de l'autre; mais nos chansons
veulent se repondre, et tour a tour nos
bouches s'unissent sur la flute.
Il est tard, voici le chant des grenouilles
vertes qui commence avec la nuit. Ma mere ne
croira jamais que je suis restee si longtemps
a chercher ma ceinture perdue.
31 — LA CHEVELURE
Il m'a dit: ((Cette nuit, j'ai reve. J'avais
ta chevelure autour de mon cou. J'avais tes
cheveux comme un collier noir autour de ma
nuque et sur ma poitrine.
((Je les caressais, et c'etaient les miens; et
nous etions lies pour toujours ainsi, par la
meme chevelure la bouche sur la bouche, ainsi
que deux lauriers n'ont souvent qu'une
racine.
((Et peu a peu, il m'a semble, tant nos
membres etaient confondus, que je devenais
toi-meme ou que tu entrais en moi comme mon
songe.))
Ouand il eut acheve, il mit doucement ses
mains sur mes epaules, et il me regarda d'un
regard si tendre, que je baissai les yeux
avec un frisson.
32 — LA COUPE
Lykas m'a vue arriver, seulement vetue d'une
exomis succincte, car les journees sont
accablantes; il a voulu mouler mon sein qui
restait a decouvert.
Il a pris de l'argile fine, petrie dans l'eau
fraiche et legere. Quand il l'a serree sur
ma peau, j'ai pense defaillir tant cette
terre etait froide.
De mon sein moule, il a fait une coupe,
arrondie et ombiliquee. Il l'a mise secher
au au soleil et l'a peinte de pourpre et
d'ocre en pressant des fleurs tout autour.
Puis nous sommes alles jusqu'a la fontaine
qui est consacree aux nymphes, et nous
avons jete la coupe dans le courant, avec
des tiges de giroflees.
33 — ROSES DANS LA NUIT
Des que la nuit monte au ciel, le monde
est a nous, et aux dieux. Nous allons des
champs a la source, des bois obscurs aux
clairieres, ou nous menent nos pieds nus.
Les petites etoiles brillent assez pour les
petites ombres que nous sommes. Quelquefois,
sous les branches basses, nous trouvons
des biches endormies.
Mais plus charmant la nuit que toute autre
chose, il est un lieu connu de nous seuls et
qui nous attire a travers la foret: un buisson
de roses mysterieuses.
Car rien n'est divin sur la terre a l'egal
du parfum des roses dans la nuit. Comment
se fait-il qu'au temps ou j'etais seule je
ne m'en sentais pas enivree?
34 — LES REMORDS
D'abord je n'ai pas repondu, et j'avais la
honte sur les joues, et les battements de
mon coeur faisaient mal a mes seins.
Puis j'ai resiste, j'ai dit: ((Non. Non.)) J'ai
tourne la tete en arriere et le baiser n'a pas
franchi mes levres, ni l'amour mes genoux
serres.
Alors il m'a demande pardon, il m'a embrasse
les cheveux, j'ai senti son haleine brulante,
et il est parti... Maintenant je suis seule.
Je regarde la place vide, le bois desert, la
terre foulee. Et je mords mes poings jusqu'au
sang et j'etouffe mes cris dans l'herbe
35 — LE SOMMEIL INTERROMPU
Toute seule je m'etais endormie, comme
une perdrix dans la bruyere. Le vent leger,
le bruit des eaux, la douceur de le nuit
m'avaient retenue la.
Je me suis endormie, imprudente, et je me
suis reveillee en criant, et j'ai lutte, et
j'ai pleure; mais deja il etait trop tard.
Et que peuvent les bras d'une fille?
Il ne me quitta pas. Au contraire, plus
tendrement dans ses bras, il me serra contre
lui et je ne vis plus au monde ni la terre ni
les arbres mais seulement la lueur de ses
yeux...
A toi, Kypris victorieuse, je consacre ces
offrandes encore mouillees de rosee, vestiges
des douleurs de la vierge, temoins de mon
sommeil et de ma resistance.
36 — AUX LAVEUSES
Laveuses, ne dites pas que vous m'avez vue!
Je me confie a vous; ne le repetez pas!
Entre ma tunique et mes seins je vous apporte
quelque chose.
Je suis comme une petite poule effrayee...
Je ne sais pas si j'oserai vous dire... Mon
coeur bat comme si je mourais... C'est un
voile que je vous apporte.
Un voile et les rubans de mes jambes. Vous
voyez: il y a du sang. Par l'Apollon c'est
malgre moi! Je me suis bien defendue; mais
l'homme qui aime est plus fort que nous.
Lavez-les bien; n'epargnez ni le sel ni la
craie. Je mettrai quatre oboles pour vous
aux pieds de l'Aphrodite; et meme une
drachme d'argent.
37 — CHANSON
Quand il est revenu, je me suis cache la
figure avec les deux mains. Il m'a dit: ((Ne
crains rien. Qui a vu notre baiser?—Qui
nous a vus? la nuit et la lune,
((Et les etoiles et la premiere aube. La lune
s'est miree au lac et l'a dit a l'eau sous
les saules. L'eau du lac l'a dit a la rame.
((Et la rame l'a dit a la barque et la barque
l'a dit au pecheur. Helas, helas! si c'etait
tout! Mais le pecheur l'a dit a` une femme.
((Le pecheur l'a dit a une femme: mon pere et
ma mere et mes soeurs, et toute la Hellas le
saura.))
38 — BILITIS
Une femme s'enveloppe de laine blanche. Une
autre se vet de soie et d'or. Une autre se
couvre de fleurs, de feuilles vertes et de
raisins.
Moi je ne saurais vivre que nue. Mon amant,
prends-moi comme je suis: sans robe ni bijoux
ni sandales voici Bilitis toute seule.
Mes cheveux sont noirs de leur noir et mes
levres rouges de leur rouge. Mes boucles
flottent autour de moi, libres et rondes
comme des plumes.
Prends moi telle que ma mere m'a faite dans
une nuit d'amour lointaine, et si je te plais
ainsi n'oublie pas de me le dire.
39 — LA PETITE MAISON
La petite maison ou est son lit est la plus
belle de la terre. Elle est faite avec des
branches d'arbre, quatre murs de terre seche
et une chevelure de chaume.
Je l'aime, car nous y couchons depuis que les
nuits sont fraiches; et plus les nuits sont
fraiches, plus elles sont longues aussi. Au
jour levant je me sens enfin lassee.
Le matelas est sur le sol; deux couvertures
de laine noire enferment nos corps qui se
rechauffent. Sa poitrine refoule mes seins.
Mon coeur bat...
Il m'etreint si fort qu'il me brisera, pauvre
petite fille que je suis; mais des qu'il est
en moi je ne sais plus rien du monde, et on
me couperait les quatre membres sans me
reveiller de ma joie.
40 — LA JOIE (non traduite)
41 — LA LETTRE PERDUE
Helas sur moi! j'ai perdu sa lettre. Je
l'avais mise entre ma peau et mon strophion,
sous la chaleur de mon sein. J'ai couru,
elle sera tombee.
Je vais retourner sur mes pas: si quelqu'un
la trouvait, on le dirait a ma mere et je
serais fouettee devant mes soeurs moqueuses.
Si c'est un homme qui l'a trouvee il me la
rendra; ou meme, s'il veut me parler en
secret je sais le moyen de la lui ravir.
Si c'est une femme qui l'a lue, o Dzeus
Gardien, protege-moi! car elle le dira a
tout le monde, ou elle me prendra mon amant.
42 — CHANSON
((La nuit est si profonde qu'elle entre dans
mes yeux.—Tu ne verras pas le chemin. Tu te
perdras dans la foret.
—Le bruit des chutes d'eau remplit mes
oreilles.—Tu n'entendrais pas la voix de
ton amant meme s'il etait a vingt pas.
—L'odeur des fleurs est si forte que je
defaille et vais tomber.—Tu ne le sentirais
pas s'il croisait ton passage.
—Ah! il est bien loin d'ici, de l'autre
cote de la montagne, mais je le vois et je
l'entends et je le sens comme s'il me touchait.))
43 — LE SERMENT
((Lorsque l'eau des fleuves remontera
jusqu'aux sommets couverts de neiges;
lorsqu'on semera l'orge et le ble dans
les sillons mouvants de la mer;
((Lorsque les pins naitront des lacs et les
nenufars des rochers, lorsque le soleil
deviendra noir, lorsque la lune tombera sur
l'herbe.
((Alors, mais alors seulement, je prendrai
une autre femme, et je t'oublierai, Bilitis,
ame de ma vie, coeur de mon coeur.))
Il me l'a dit, il me l'a dit! Que m'importe
le reste du monde! Ou es-tu, bonheur insense
qui te compares a mon bonheur!
44 — LA NUIT
C'est moi maintenant qui le recherche.
Chaque nuit, tres doucement, je quitte la
maison, et je vais par une longue route,
jusqu'a sa prairie, le regarder dormir.
Quelquefois je reste longtemps sans parler,
heureuse de le voir seulement, et j'approche
mes levres des siennes, pour ne baiser que
son haleine.
Puis tout a coup je m'etends sur lui. Il se
reveille dans mes bras, et il ne peut plus se
relever car je lutte! Il renonce, et rit, et
m'etreint. Ainsi nous jouons dans la nuit
... Premiere aube, o clarte mechante, toi
deja! En quel antre toujours nocturne, sur
quelle prairie souterraine pourrons-nous si
longtemps aimer, que nous perdions ton
souvenir...
45 — BERCEUSE
Dors: j'ai demande a Sardes tes jouets, et
tes vetements a Babylone. Dors, tu es fille
de Bilitis et d'un roi du soleil levant.
Les bois, ce sont les palais qu'on batit pour
toi seule et que je t'ai donnes. Les troncs
des pins, ce sont les colonnes; les hautes
branches, ce sont les voutes.
Dors. Pour qu'il ne t'eveille pas, je vendrais
le soleil a la mer. Le vent des ailes de
la colombe est moins leger que ton haleine.
Fille de moi, chair de ma chair, tu diras
quand tu ouvriras les yeux, si tu veux la
plaine ou la ville, ou la montagne ou la
lune, ou le cortege blanc des dieux.
46 — LE TOMBEAU DES NAIADES
Le long du bois couvert de givre, je
marchais; mes cheveux devant ma bouche se
fleurissaient de petits glacons, et mes
sandales etaient lourdes de neige fangeuse
et tassee.
Il me dit: ((Que cherches-tu?—Je suis la
trace du satyre. Ses petits pas fourchus
alternent comme des trous dans un manteau
blanc.)) Il me dit: ((Les satyres sont morts.
((Les satyres et les nymphes aussi. Depuis
trente ans il n'a pas fait un hiver aussi
terrible. La trace que tu vois est celle
d'un bouc. Mais restons ici, ou est leur
tombeau.))
Et avec le fer de sa houe il cassa la glace
de la source ou jadis riaient les naiades.
Il prenait de grands morceaux froids, et, les
soulevant vers le ciel pale, il regardait au
travers.
(Eumorphote'rha Mnasidi'ka ta^s hapala^s Gyrhinn_o^s.)
SAPPHO
47 — AU VAISSEAU
Beau navire qui m'as menee ici, le long des
cotes de l'Ionie, je t'abandonne aux flots
brillants, et d'un pied leger je saute sur la
greve.
Tu vas retourner au pays ou la vierge est
l'amie des nymphes. N'oublie pas de remercier
les conseilleres invisibles, et porte-leur
en offrande ce rameau cueilli par mes mains.
Tu fus pin, et sur les montagnes, le vaste
Notos enflamme agitait tes branches epineuses,
tes ecureuils et tes oiseaux.
Que le Boreus maintenant te guide, et te
pousse mollement vers le port, nef noire
escortee des dauphins au gre de la mer
bienveillante.
48 — PSAPPHA
Je me frotte les yeux... Il fait deja jour,
je crois. Ah! qui est aupres de moi?... une
femme?... Par la Paphia, j'avais oublie...
O Charites! que je suis honteuse.
Dans quel pays suis-je venue, et quelle est
cette ile-ci ou l'on entend ainsi l'amour?
Si je n'etais pas ainsi lassee, je croirais a
quelque reve... Est-il possible que ce soit
la Psappha!
Elle dort... Elle est certainement belle,
bien que ses cheveux soient coupes comme ceux
d'un athlete. Mais cet etrange visage, cette
poitrine virile et ces hanches etroites...
Je veux m'en aller avant qu'elle ne s'eveille.
Helas! je suis du cote du mur. Il me faudra
l'enjamber. J'ai peur de froler sa hanche et
qu'elle ne me reprenne au passage.
49 — LA DANSE DE GLOTTIS ET DE KYSE
Deux petites filles m'ont emmenee chez elles,
et des que la porte fut fermee, elles
allumerent au feu la meche de la lampe et
voulurent danser pour moi.
Leurs joues n'etaient pas fardees, aussi
brunes que leurs petits ventres. Elles se
tiraient par les bras et parlaient en meme
temps, dans une agonie de gaiete.
Assises sur leur matelas que portaient deux
treteaux eleves, Glottis chantait a voix
aigue et frappait en mesure ses petites mains
sonores.
Kyse dansait par saccades, puis s'arretait,
essoufflee par le rire, et, prenant sa soeur
par les seins, la mordait a l'epaule et la
renversait, comme une chevre qui veut jouer.
50 — LES CONSEILS
Alors Syllikhmas est entree, et nous voyant
si familieres, elle s'est assise sur le banc.
Elle a pris Glottis sur son genou, Kyse sur
l'autre et elle a dit:
((Viens ici, petite.)) Mais je restais loin.
Elle reprit: ((As-tu peur de nous?
Approche-toi: ces enfants t'aiment. Elles
t'apprendront ce que tu ignores: le miel des
caresses de la femme.
((L'homme est violent et paresseux. Tu le
connais, sans doute. Hais-le. Il a la
poitrine plate, la peau rude, les cheveux
ras, les bras velus. Mais les femmes sont
toutes belles.
((Les femmes seules savent aimer; reste avec
nous, Bilitis, reste. Et si tu as une ame
ardente, tu verras ta beaute comme dans un
miroir sur le corps de tes amoureuses.))
51 — L'INCERTITUDE
De Glottis ou de Kyse je ne sais qui
j'epouserai. Comme elles ne se ressemblent
pas, l'une ne me consolerait pas de l'autre
et j'ai peur de mal choisir.
Chacune d'elles a l'une de mes mains,
l'une de mes mamelles aussi. Mais a qui
donnerai-je ma bouche? a qui donnerai-je
mon coeur et tout ce qu'on ne peut partager?
Nous ne pouvons rester ainsi toutes les
trois dans la meme maison. On en parle
dans Mytilene. Hier, devant le temple d'Ares,
une femme ne m'a pas dit: ((Salut!))
C'est Glottis que je prefere; mais je ne
puis repudier Kyse. Que deviendrait-elle
toute seule? Les laisserai-je ensemble comme
elles etaient et prendrai-je une autre amie?
52 — LA RENCONTRE
Je l'ai trouvee comme un tresor, dans un
champ, sous un buisson de myrte, enveloppee
de la gorge aux pieds dans un peplos jaune
brode de bleu.
((Je n'ai pas d'amie, m'a-t-elle dit; car la
ville la plus proche est a quarante stades
d'ici. Je vis seule avec ma mere qui est
veuve et toujours triste. Si tu veux, je te
suivrai.
((Je te suivrai jusqu'a ta maison, fut-elle de
l'autre cote de l'ile et je vivrai chez toi
jusqu'a ce que tu me renvoies. Ta main est
tendre, tes yeux sont bleus.
((Partons. Je n'emporte rien avec moi, que
la petite Aphrodite qui est pendue a mon
collier. Nous la mettrons pres de la tienne,
et nous leur donnerons des roses en
recompense de chaque nuit.))
53 — LA PETITE APHRODITE DE TERRE CUITE
La petite Aphrodite gardienne qui protege
Mnasidika fut modelee a Camiros par un potier
fort habile. Elle est grande comme le pouce,
et de terre fine et jaune.
Ses cheveux retombent et s'arrondissent sur
ses epaules etroites. Ses yeux sont
longuement fendus et sa bouche est toute
petite. Car elle est la Tres-Belle.
De la main droite, elle designe sa divinite,
qui est criblee de petits trous sur le
bas-ventre et le long des aines. Car elle
est la Tres-Amoureuse.
Du bras gauche elle soutient ses mamelles
pesantes et rondes. Entre ses hanches
elargies se gonfle un ventre feconde. Car
elle est la Mere-de-toutes-choses.
54 — LE DESIR
Elle entra, et passionnement, les yeux
fermes a demi, elle unit ses levres aux
miennes et nos langues se connurent...
Jamais il n'y eut dans ma vie un baiser
comme celui-la.
Elle etait debout contre moi, toute en
amour et consentante. Un de mes genoux,
peu a peu, montait entre ses cuisses chaudes
qui cedaient comme pour un amant.
Ma main rampante sur sa tunique cherchait a
deviner le corps derobe, qui tour a tour
onduleux se pliait, ou cambre se raidissait
avec des fremissements de la peau.
De ses yeux en delire elle designait le lit;
mais nous n'avions pas le droit d'aimer avant
la ceremonie des noces, et nous nous separames
brusquement.
55 — LES NOCES
Le matin, on fit le repas de noces, dans la
maison d'Acalanthis qu'elle avait adoptee
pour mere. Mnasidika portait le voile blanc
et moi la tunique virile.
Et ensuite, au milieu de vingt femmes, elle a
mis ses robes de fete. On l'a parfumee de
bakkaris, on l'a poudree de poudre d'or, on
lui a ote ses bijoux.
Dans sa chambre pleine de feuillages, elle
m'a attendue comme un epoux. Et je l'ai
emmenee sur un char entre moi et la
nymphagogue, et les passants nous
acclamaient.
On a chante le chant nuptial; les flutes
ont chante aussi. J'ai emporte Mnasidika
sous les epaules et sous les genoux, et nous
avons passe le seuil couvert de roses.
56 — LE LIT (non traduite)
57 — LE PASSE QUI SURVIT
Je laisserai le lit comme elle l'a laisse,
defait et rompu, les draps meles, afin que
la forme de son corps reste empreinte a cote
du mien.
Jusqu'a demain je n'irai pas au bain, je ne
porterai pas de vetements et je ne peignerai
pas mes cheveux, de peur d'effacer les
caresses.
Ce matin, je ne mangerai pas, ni ce soir,
et sur mes levres je ne mettrai ni rouge ni
poudre, afin que son baiser demeure.
Je laisserai les volets clos et je n'ouvrirai
pas la porte, de peur que le souvenir reste
ne s'en aille avec le vent.
58 — LA METAMORPHOSE
Je fus jadis amoureuse de la beaute des
jeunes hommes, et le souvenir de leurs
paroles, jadis, me tint eveillee.
Je me souviens d'avoir grave un nom dans
l'ecorce d'un platane. Je me souviens
d'avoir laisse un morceau de ma tunique dans
un chemin ou passait quelqu'un.
Je me souviens d'avoir aime... O Pannychis,
mon enfant, en quelles mains t'ai-je laissee?
comment, o malheureuse, t'ai-je abandonnee?
Aujourd'hui Mnasidika seule, et pour
toujours, me possede. Qu'elle recoive en
sacrifice le bonheur de ceux que j'ai quittes
pour elle.
59 — LE TOMBEAU SANS NOM
Mnasidika m'ayant prise par la main me
mena hors des portes de la ville, jusqu'a un
petit champ inculte ou il y avait une stele de
marbre. Et elle me dit: ((Celle-ci fut l'amie
de ma mere.))
Alors je sentis un grand frisson, et sans
cesser de lui tenir la main, je me penchai
sur son epaule, afin de lire les quatre vers
entre la coupe creuse et le serpent:
((Ce n'est pas la mort qui m'a enlevee, mais
les Nymphes des fontaines. Je repose ici
sous une terre legere avec la chevelure
coupee de Xantho. Qu'elle seule me pleure.
Je ne dis pas mon nom.))
Longtemps nous sommes restees debout, et nous
n'avons pas verse la libation. Car comment
appeler une ame inconnue d'entre les foules
de l'Hades?
60 — LES TROIS BEAUTES DE MNASIDIKA
Pour que Mnasidika soit protegee des dieux,
j'ai sacrifie a l'Aphrodita-qui-aime-les-sourires,
deux lievres males et deux colombes.
Et j'ai sacrifie a l'Ares deux coqs armes
pour la lutte et a la sinistre Hekata deux
chiens qui hurlaient sous le couteau.
Et ce n'est pas sans raison que j'ai implore
ces trois Immortels, car Mnasidika porte sur
son visage le reflet de leur triple divinite:
Ses levres sont rouges comme le cuivre, ses
cheveux bleuatres comme le fer, et ses yeux
noirs, comme l'argent.
61 — L'ANTRE DES NYMPHES
Tes pieds sont plus delicats que ceux de
Thetis argentine. Entre tes bras croises tu
reunis tes seins, et tu les berces mollement
comme deux beaux corps de colombes.
Sous tes cheveux tu dissimules tes yeux
mouilles, ta bouche tremblante et les fleurs
rouges de tes oreilles; mais rien n'arretera
mon regard ni le souffle chaud du baiser.
Car, dans le secret de ton corps, c'est toi,
Mnasidika aimee, qui receles l'antre des
nymphes dont parle le vieil Homeros, le lieu
ou les naiades tissent des linges de pourpre,
Le lieu ou coulent, goutte a goutte, des
sources intarissables, et d'ou la porte du
Nord laisse descendre les hommes et ou` la
porte du Sud laisse entrer les Immortels.
62 — LES SEINS DE MNASIDIKA
Avec soin, elle ouvrit d'une main sa tunique
et me tendit ses seins tiedes et doux, ainsi
qu'on offre a la deesse une paire de
tourterelles vivantes.
((Aime-les bien, me dit-elle; je les aime
tant! Ce sont des cheris, des petits
enfants. Je m'occupe d'eux quand je suis
seule. Je joue avec eux; je leur fais
plaisir.
((Je les lave avec du lait. Je les poudre
avec des fleurs. Mes cheveux fins qui les
essuient sont chers a leurs petits bouts. Je
les caresse en frissonnant. Je les couche
dans de la laine.
((Puisque je n'aurai jamais d'enfants, sois
leur nourrisson, mon amour; et, puisqu'ils
sont si loin de ma bouche, donne-leur des
baisers de ma part.))
63 — LA CONTEMPLATION (non traduite)
64 — LA POUPEE
Je lui ai donne une poupee, une poupee de
cire aux joues roses. Ses bras sont attaches
par de petites chevilles, et ses jambes
elles-memes se plient.
Quand nous sommes ensemble elle la couche
entre nous et c'est notre enfant. Le soir
elle la berce et lui donne le sein avant de
l'endormir.
Elle lui a tisse trois petites tuniques, et
nous lui donnons des bijoux le jour des
Aphrodisies, des bijoux et des fleurs aussi.
Elle a soin de sa vertu et ne la laisse pas
sortir sans elle; pas au soleil, surtout, car
la petite poupee fondrait en gouttes de cire.
65 — TENDRESSES
Ferme doucement tes bras, comme une ceinture,
sur moi. O touche, o touche ma peau ainsi!
Ni l'eau ni la brise de midi ne sont plus
douces que ta main.
Aujourd'hui cheris-moi, petite soeur, c'est
ton tour. Souviens-toi des tendresses que je
t'ai apprises la nuit derniere, et pres de moi
qui suis lasse agenouille-toi sans parler.
Tes levres descendent de mes levres. Tous
tes cheveux defaits les suivent, comme la
caresse suit le baiser. Ils glissent sur mon
sein gauche; ils me cachent tes yeux.
Donne-moi ta main. Qu'elle est chaude!
Serre la mienne, ne la quitte pas. Les mains
mieux que les bouches s'unissent, et leur
passion ne s'egale a` rien.
66 — JEUX
Plus que ses balles ou sa poupee, je suis
pour elle un jouet. De toutes les parties de
mon corps elle s'amuse comme une enfant,
pendant de longues heures, sans parler.
Elle defait ma chevelure et la reforme selon
son caprice, tantot nouee sous le menton
comme une etoffe epaisse, ou tordue en
chignon ou tressee jusqu'au bout.
Elle regarde avec etonnement la couleur
de mes cils, le pli de mon coude. Parfois
elle me fait mettre a genoux et poser les
mains sur les draps;
Alors (et c'est un de ses jeux) elle glisse
sa petite tete par-dessous et imite le
chevreau tremblant qui s'allaite au ventre
de sa mere.
67 — EPISODE (non traduite)
68 — PENOMBRE
Sous le drap de laine transparent nous nous
sommes glissees, elle et moi. Meme nos tetes
etaient blotties, et la lampe eclairait
l'etoffe au-dessus de nous.
Ainsi je voyais son corps cheri dans une
mysterieuse lumiere. Nous etions plus pres
l'une de l'autre, plus libres, plus intimes, plus
nues. ((Dans la meme chemise,)) disait-elle.
Nous etions restees coiffees pour etre encore
plus decouvertes, et dans l'air etroit du
lit, deux odeurs de femmes montaient, des
deux cassolettes naturelles.
Rien au monde, pas meme la lampe, ne nous a
vues cette nuit-la. Laquelle de nous fut
aimee, elle seule et moi le pourrions dire.
Mais les hommes n'en sauront rien.
69 — LA DORMEUSE
Elle dort dans ses cheveux defaits, les mains
melees derriere la nuque. Reve-t-elle? Sa
bouche est ouverte; elle respire doucement.
Avec un peu de cygne blanc, j'essuie, mais
sans l'eveiller, la sueur de ses bras, la
fievre de ses joues. Ses paupieres fermees
sont deux fleurs bleues.
Tout doucement je vais me lever; j'irai
puiser l'eau, traire la vache et demander du
feu aux voisins. Je veux etre frisee et
vetue quand elle ouvrira les yeux.
Sommeil, demeure encore longtemps entre ses
beaux cils recourbes et continue la nuit
heureuse par un songe de bon augure.
70 — LE BAISER
Je baiserai d'un bout a l'autre les longues
ailes noires de ta nuque, o doux oiseau,
colombe prise dont le coeur bondit sous ma
main.
Je prendrai ta bouche dans ma bouche
comme un enfant prend le sein de sa mere.
Frissonne!... car le baiser penetre
profondement et suffirait a l'amour.
Je promenerai mes levres comme du feu, sur
tes bras, autour de ton cou, et je ferai
tourner sur tes cotes chatouilleuses la
caresse etirante des ongles.
Ecoute bruire en ton oreille toute la rumeur
de la mer... Mnasidika! ton regard
m'importune. J'enfermerai dans mon baiser
tes paupieres freles et brulantes.
71 — LES SOINS JALOUX,
Il ne faut pas que tu te coiffes, de peur que
le fer trop chaud ne brule ta nuque ou tes
cheveux. Tu les laisseras sur tes epaules et
repandus le long de tes bras.
Il ne faut pas que tu t'habilles, de peur
qu'une ceinture ne rougisse les plis effiles
de ta hanche. Tu resteras nue comme une
petite fille.
Meme il ne faut pas que tu te leves, de peur
que tes pieds fragiles ne s'endolorissent en
marchant. Tu reposeras au lit, o victime
d'Eros, et je panserai ta pauvre plaie.
Car je ne veux voir sur ton corps d'autres
marques, Mnasidika, que la tache d'un baiser
trop long, l'egratignure d'un ongle aigu,
ou la barre pourpree de mon etreinte.
72 — L'ETREINTE EPERDUE
Aime-moi, non pas avec des sourires, des
flutes ou des fleurs tressees, mais avec ton
coeur et tes larmes, comme je t'aime avec ma
poitrine et avec mes gemissements.
Quand tes seins s'alternent a mes seins,
quand je sens ta vie contre ma vie, quand
tes genoux se dressent derriere moi, alors
ma bouche haletante ne sait meme plus
trouver la tienne.
Etreins-moi comme je t'etreins! Vois, la
lampe vient de mourir, nous roulons dans la
nuit; mais je presse ton corps brulant et
j'entends ta plainte perpetuelle...
Gemis! gemis! gemis! o femme! Eros
nous traine dans la douleur. Tu souffrirais
moins sur ce lit pour mettre un enfant au
monde que pour accoucher de ton amour.
73 — REPRISE (non traduite)
74 — LE COEUR
Haletante, je lui pris la main et je
l'appliquai fortement sous la peau moite de
mon sein gauche. Et je tournais la tete ici
et la et je remuais les levres sans parler.
Mon coeur affole, brusque et dur, battait
et battait ma poitrine, comme un satyre
emprisonne heurterait, ploye dans une outre.
Elle me dit: ((Ton coeur te fait mal...))
((O Mnasidika, repondis-je, le coeur des
femmes n'est pas la. Celui-ci est un pauvre
oiseau, une colombe qui remue ses ailes
faibles. Le coeur des femmes est plus terrible.
((Semblable a une petite baie de myrte,
il brule dans la flamme rouge et sous une
ecume abondante. C'est la que je me sens
mordue par la vorace Aphrodite.))
75 — PAROLES DANS LA NUIT
Nous reposons, les yeux fermes; le silence
est grand autour de notre couche. Nuits
ineffables de l'ete! Mais elle, qui me croit
endormie, pose sa main chaude sur mon bras
Elle murmure: ((Bilitis, tu dors?)) Le coeur
me bat, mais sans repondre, je respire
regulierement comme une femme couchee dans
les reves. Alors elle commence a parler:
((Puisque tu ne m'entends pas, dit-elle,
ah! que je t'aime!)) Et elle repete mon nom.
((Bilitis... Bilitis...)) Et elle m'effleure du
bout de ses doigts tremblants:
((C'est a moi, cette bouche! a moi seule!
Y en a-t-il une plus belle au monde? Ah!
mon bonheur, mon bonheur! C'est a moi
ces bras nus, cette nuque et ces cheveux...))
76 — L'ABSENCE
Elle est sortie, elle est loin, mais je la
vois, car tout est plein d'elle dans cette
chambre, tout lui appartient, et moi comme
le reste.
Ce lit encore tiede ou je laisse errer ma
bouche, est foule a la mesure de son corps.
Dans ce coussin tendre a dormi sa petite tete
enveloppee de cheveux.
Ce bassin est celui ou elle s'est lavee; ce
peigne a penetre les noeuds de sa chevelure
emmelee. Ces pantoufles prirent ses pieds
nus. Ces poches de gaze continrent ses seins.
Mais ce que je n'ose toucher du doigt, c'est
ce miroir ou elle a vu ses meurtrissures
toutes chaudes, et ou subsiste peut-etre
encore le reflet de ses levres mouillees.
77 — L'AMOUR
Helas, si je pense a elle, ma gorge se desseche,
ma tete retombe, mes seins durcissent et me
font mal, je frissonne et je pleure en marchant.
Si je la vois, mon coeur s'arrete, mes mains
tremblent, mes pieds se glacent, une rougeur
de feu monte a mes joues, mes tempes battent
douloureusement.
Si je la touche, je deviens folle, mes bras
se raidissent, mes genoux defaillent. Je tombe
devant elle, et je me couche comme une
femme qui va mourir.
De tout ce qu'elle me dit je me sens blessee.
Son amour est une torture et les passants
entendent mes plaintes... Helas! Comment
puis-je l'appeler Bien-Aimee?
78 — LA PURIFICATION
Te voila! defais tes bandelettes, et tes
agrafes et ta tunique. Ote jusqu'a tes
sandales, jusqu'aux rubans de tes jambes,
jusqu'a la bande de ta poitrine.
Lave le noir de tes sourcils, et le rouge de
tes levres. Efface le blanc de tes epaules
et defrise tes cheveux dans l'eau.
Car je veux t'avoir toute pure, telle que tu
naquis sur le lit, aux pieds de ta mere feconde
et devant ton pere glorieux,
Si chaste que ma main dans ta main te fera
rougir jusqu'a la bouche, et qu'un mot de moi
sous ton oreille affolera tes yeux
tournoyants.
79 — LA BERCEUSE DE MNASIDIKA
Ma petite enfant, si peu d'annees que j'aie
de plus que toi-meme, je t'aime, non pas
comme une amante, mais comme si tu etais
sortie de mes entrailles laborieuses.
Lorsque etendue sur mes genoux, tes deux
bras freles autour de moi, tu cherches mon
sein, la bouche tendue, et me tettes avec
lenteur entre tes levres palpitantes,
Alors je reve qu'autrefois, j'ai allaite
reellement cette bouche douillette, souple et
baignee, ce vase myrrhin couleur de pourpre
ou le bonheur de Bilitis est mysterieusement
enferme.
Dors. Je te bercerai d'une main sur mon
genou qui se leve et s'abaisse. Dors ainsi.
Je chanterai pour toi les petites chansons
lamentables qui endorment les nouveaux-nes...
80 — PROMENADE AU BORD DE LA MER
Comme nous marchions sur la plage, sans
parler, et enveloppees jusqu'au menton
dans nos robes de laine sombre, des jeunes
filles joyeuses ont passe.
((Ah! c'est Bilitis et Mnasidika! Voyez,
le beau petit ecureuil que nous avons pris:
il est doux comme un oiseau et effare comme
un lapin.
((Chez Lyde nous le mettrons en cage et nous
lui donnerons beaucoup de lait avec des
feuilles de salade. C'est une femelle, elle
vivra longtemps.))
Et les folles sont parties en courant. Pour
nous, sans parler nous noius sommes assises,
moi sur une roche, elle sur le sable, et nous
avons regarde la mer.
81 — L'OBJET
((Salut, Bilitis, Mnasidika, salut.—Assieds-toi.
Comment va ton mari?—Trop bien. Ne lui dites
pas que vous m'avez vue. Il me tuerait s'il me
savait ici.—Sois sans crainte.
—Et voila votre chambre? et voila votre
lit? Pardonne-moi. Je suis curieuse.—Tu
connais cependant le lit de Myrrhine.—Si
peu.—On la dit jolie.—Et lascive, o ma
chere! mais taisons-nous.
—Que voulais-tu de moi?—Que tu me
pretes...—Parle.—Je n'ose nommer
l'objet.—Nous n'en avons pas.—Vraiment?
—Mnasidika est vierge.—Alors, ou en
acheter?—Chez le cordonnier Drakhon.
—Dis aussi: qui te vend ton fil a broder?
Le mien se casse des qu'on le regarde.—
Je le fais moi-meme, mais Nais en vend
d'excellent.—A quel prix?—Trois oboles.
—C'est cher. Et l'objet?—Deux drachmes
—Adieu.))
82 — SOIR PRES DU FEU
L'hiver est dur, Mnasidika. Tout est froid,
hors notre lit. Leve-toi, cependant, viens
avec moi, car j'ai allume un grand feu avec
des souches mortes et du bois fendu.
Nous nous chaufferons accroupies, toutes
nues, nos cheveux sur le dos, et nous boirons
du lait dans la meme coupe et nous mangerons
des gateaux au miel.
Comme la flamme est sonore et gaie! N'es-tu
pas trop pres? Ta peau devient rouge.
Laisse-moi la baiser partout ou le feu l'a
faite brulante.
Au milieu des tisons ardents je vais chauffer
le fer et te coiffer ici. Avec les charbons
eteints j'ecrirai ton nom sur le mur.
83 — PRIERES
Que veux-tu? dis-le. S'il le faut, je
vendrai mes derniers bijoux pour qu'une
esclave attentive guette le desir de tes
yeux, la soif quelconque de tes levres,
Si le lait de nos chevres te semble fade, je
louerai pour toi, comme pour un enfant, une
nourrice aux mamelles gonflees qui chaque
matin t'allaitera.
Si notre lit te semble rude, j'acheterai tous
les coussins mous, toutes les couvertures de
soie, tous les draps fourres de plumes des
marchandes amathusiennies.
Tout. Mais il faut que je te suffise, et si
nous dormions sur la terre, il faut que la
terre te soit plus douce que le lit chaud
d'une etrangere.
84 — LES YEUX
Larges yeux de Mnasidika, combien vous
me rendez heureuse quand l'amour noircit
vos paupieres et vous anime et vous noie
sous les larmes;
Mais combien folle, quand vous vous
detournez ailleurs, distraits par une femme
qui passe ou par un souvenir qui n'est pas
le mien.
Alors mes joues se creusent, mes mains
tremblent et je souffre... Il me semble que
de toutes parts, et devant vous ma vie s'en va.
Larges yeux de Mnasidika, ne cessez pas de me
regarder! ou je vous trouerai avec mon
aiguille et vous ne verrez plus que la nuit
terrible.
85 — LES FARDS
Tout, et ma vie, et le monde, et les hommes,
tout ce qui n'est pas elle n'est rien.
Tout ce qui n'est pas elle, je te le donne,
passant.
Sait-elle que de travaux j'accomplis pour
etre belle a ses yeux, par ma coiffure et par
mes fards, par mes robes et mes parfums?
Aussi longtemps je tournerais la meule, je
ferais plonger la rame ou je becherais la
terre, s'il fallait a ce prix la retenir ici.
Mais faites qu'elle ne l'apprenne jamais,
Deesses qui veillez sur nous! Le jour ou
elle saura que je l'aime elle cherchera une
autre femme.
86 — LE SILENCE DE MNASIDIKA
Elle avait ri toute la journee, et meme elle
s'etait un peu moquee de moi. Elle avait
refuse de m'obeir, devant plusieurs femmes
etrangeres.
Quand nous sommes rentrees, j'ai affecte
de ne pas lui parler, et comme elle se jetait
a mon cou, en disant: ((Tu es fachee?)) je
lui ai dit:
((Ah! tu n'es plus comme autrefois, tu n'es
plus comme le premier jour. Je ne te
reconnais plus, Mnasidika.)) Elle ne m'a rien
repondu;
Mais elle a mis tous ses bijoux qu'elle ne
portait plus depuis longtemps, et la meme
robe jaune brodee de bleu que le jour de
notre rencontre.
87 — SCENE
((Ou etais-tu?—Chez la marchande de fleurs.
J'ai achete des iris tres beaux. Les voici,
je te les apporte.—Pendant si longtemps tu
as achete quatre fleurs?—La marchande m'a
retenue.
—Tu as les joues pales et les yeux
brillants.—C'est la fatigue de la
route.—Tes cheveux sont mouilles et
meles.—C'est la chaleur et c'est le vent
qui m'ont toute decoiffee.
—On a denoue ta ceinture. J'avais fait le
noeud moi-meme, plus lache que celui-ci.—
Si lache qu'elle s'est defaite; un esclave qui
passait me l'a renouee.
—Il y a une trace a ta robe.—C'est l'eau
des fleurs qui est tombee.—Mnasidika, ma
petite ame, tes iris sont les plus beaux qu'il
y ait dans tout Mytilene—Je le sais bien,
je le sais bien.))
88 — ATTENTE
Le soleil a passe toute la nuit chez les
morts depuis que je l'attends, assise sur mon
lit, lasse d'avoir veille. La meche de la lampe
epuisee a brule jusqu'a la fin.
Elle ne reviendra plus: voici la derniere
etoile. Je sais bien qu'elle ne viendra plus.
Je sais meme le nom que je hais. Et cependant
j'attends encore.
Qu'elle vienne maintenant! oui, qu'elle
vienne, la chevelure defaite et sans roses,
la robe souillee, tachee, froissee, la langue
seche et les paupieres noires!
Des qu'elle ouvrira la porte, je lui dirai...
mais la voici... C'est sa robe que je touche,
ses mains, ses cheveux, sa peau. Je l'embrasse
d'une bouche eperdue, et je pleure.
89 — LA SOLITUDE
Pour qui maintenant farderais-je mes levres?
Pour qui polirais-je mes ongles? Pour qui
paifumerais-je mes cheveux?
Pour qui mes seins poudres de rouge, s'ils ne
doivent plus la tenter? Pour qui mes bras
laves de lait s'ils ne doivent plus jamais
l'etreindre?
Comment pourrais-je dormir? Comment
pourrais-je me coucher? Ce soir ma main,
dans tout mon lit, n'a pas trouve sa main
chaude.
Je n'ose plus rentrer chez moi, dans la
chambre affreusement vide. Je n'ose plus
rouvrir la porte. Je n'ose meme plus rouvrir
les yeux.
90 — LETTRE
Cela est impossible, impossible. Je t'en
supplie a genoux, avec larmes, toutes les
larmes que j'ai pleurees sur cette horrible
lettre, ne m'abandonne pas ainsi.
Songes-tu combien c'est affreux de te reperdre
a jamais pour la seconde fois, apres avoir
eu l'immense joie d'esperer te reconquerir.
Ah! mes amours! ne sentez-vous donc
pas a quel point je vous aime!
Ecoute-moi. Consens a me revoir encore
une fois. Veux-tu etre demain, au soleil
couchant, devant ta porte? Demain, ou le jour
suivant. Je viendrai te prendre. Ne me refuse
pas cela.
La derniere fois peut-etre, soit, mais encore
cette fois, encore cette fois! Je te le
demande, je te le crie, et songe que de ta
reponse depend le reste de ma vie.
91 — LA TENTATIVE
Tu etais jalouse de nous, Gyrinno, fille
trop ardente. Que de bouquets as-tu fait
suspendre au marteau de notre porte! Tu
nous attendais au passage et tu nous suivais
dans la rue.
Maintenant tu es selon tes voeux, etendue
a la place aimee, et la tete sur ce coussin
ou flotte une autre odeur de femme. Tu es
plus grande qu'elle n'etait. Ton corps
different m'etonne.
Regarde, je t'ai enfin cede. Oui, c'est
moi. Tu peux jouer avec mes seins, caresser
ma hanche, ouvrir mes genoux. Mon corps
tout entier s'est livre a tes levres
infatigables,—helas!
Ah! Gyrinno! avec l'amour mes larmes aussi
debordent! Essuie-les avec tes cheveux, ne
les baise pas, ma cherie; et enlace moi de
plus pres encore pour maitriser mes
tremblements.
92 — L'EFFORT
Encore! assez de soupirs et de bras etires!
Recommence! Penses-tu donc que l'amour
soit un delassement? Gyrinno, c'est
une tache, et de toutes la plus rude.
Reveille-toi! Il ne faut pas que tu dormes!
Que m'importent tes paupieres bleues et
la barre de douleur qui brule tes jambes
maigres. Astarte bouillonne dans mes reins.
Nous nous sommes couchees avant le crepuscule.
Voici deja la mauvaise aurore; mais je ne
suis pas lasse pour si peu. Je ne dormirai
pas avant le second soir.
Je ne dormirai pas: il ne faut pas que tu
dormes. Oh! comme la saveur du matin est
amere! Gyrinno, appprecie-la. Les baisers
sont plus difficiles, mais plus etranges, et
plus lents.
93 — MYRRHINE (non traduite)
94 — A GYRINNO
Ne crois pas que je t'aie aimee. Je t'ai
mangee comme une figue mure, je t'ai bue
comme une eau ardente, je t'ai portee autour
de moi comme une ceinture de peau.
Je me suis amusee de ton corps, parce que
tu as les cheveux courts, les seins en pointe
sur ton corps maigre, et les mamelons noirs
comme deux petites dattes.
Comme il faut de l'eau et des fruits, une
femme aussi est necessaire, mais deja je ne
sais plus ton nom, toi qui as passe dans mes
bras comme l'ombre d'une autre adoree.
Entre ta chair et la mienne, un reve brulant
m'a possedee. Je te serrais sur moi comme
sur une blessure et je criais: Mnasidika!
Mnasidika! Mnasidika!
95 — LE DERNIER ESSAI
((Que veux-tu, vieille?—Te consoler.—C'est
peine perdue.—On m'a dit que depuis ta
rupture, tu allais d'amour en amour sans
trouver l'oubli ni la paix. Je viens te
proposer quelqu'un.
—Parle.—C'est une jeune esclave nee a
Sardes. Elle n'a pas sa pareille au monde,
car elle est a la fois homme et femme, bien
que sa poitrine et ses longs cheveux et sa
voix claire fassent illusion.
—Son age?—Seize ans.—Sa taille?—Grande.
Elle n'a connu personne ici, hors Psappha
qui en est eperdument amoureuse et a voulu
me l'acheter vingt mines. Si tu la loues,
elle est a toi.—Et qu'en ferai-je?
Voici vingt-deux nuits que j'essaye en vain
d'echapper au souvenir... Soit, je prendrai
celle-ci encore, mais previens la pauvre
petite, pour qu'elle ne s'effraye point si je
sanglote dans ses bras.))
96 — LE SOUVENIR DECHIRANT
Je me souviens... (a quelle heure du jour ne
l'ai-je pas devant mes yeux?) je me souviens
de la facon dont Elle soulevait ses cheveux
avec ses faibles doigts si pales.
Je me souviens d'une nuit qu'elle passa,
la joue sur mon sein, si doucement, que le
bonheur me tint eveillee, et le lendemain elle
avait au visage la marque de la papille ronde.
Je la vois tenant sa tasse de lait et me
regardant de cote, avec un sourire. Je la
vois, poudree et coiffee, ouvrant ses grands
yeux devant son miroir, et retouchant du
doigt le rouge de ses levres.
Et surtout, si mon desespoir est une perpetuelle
torture, c'est que je sais, instant par
instant, comment elle defaille dans les bras
de l'autre, et ce qu'elle lui demande et ce
qu'elle lui donne.
97 — A LA POUPEE DE CIRE
Poupee de cire, jouet cheri qu'elle appelait
son enfant, elle t'a laissee toi aussi et elle
t'oublie comme moi, qui fus avec elle ton
pere ou ta mere, je ne sais.
La pression de ses levres avaient deteint
tes petites joues; et a ta main gauche voici
ce doigt casse qui la fit tant pleurer. Cette
petite cyclas que tu portes, c'est elle qui te
l'a brodee.
A l'entendre, tu savais deja lire. Pourtant
tu n'etais pas sevree, et le soir, penchee sur
toi, elle ouvrait sa tunique et te donnait le
sein, ((afin que tu ne pleures pas)), disait-elle.
Poupee, si je voulais la revoir, je te donnerais
a l'Aphrodite, comme le plus cher de mes cadeaux.
Mais je veux penser qu'elle est tout a fait morte.
98 — CHANT FUNEBRE
Chantez un chant funebre, muses Mytileniennes,
chantez! La terre est sombre comme un vetement
de deuil et les arbres jaunes frissonnent comme
des chevelures coupees.
Heraios! o mois triste et doux! les feuilles
tombent doucement comme la neige; le soleil
est plus penetrant dans la foret plus eclaircie.
Je n'entends plus rien que le silence.
Voici qu'on a porte au tombeau Pittakos
charge d'annees. Beaucoup sont morts, que
j'ai connus. Et celle qui vit est pour moi
comme si elle n'etait plus.
Celui-ci est le dixieme automne que j'ai vu
mourir sur cette plaine. Il est temps aussi
que je disparaisse. Pleurez avec moi, muses
Mytileniennes, pleurez sur mes pas!
(Alla' me narhki'ssois anad_e'sate, kai` plagiau'l_on
geu'sate kai` krhoki'nois chrhi'sate gui^a my'rhois.
Kai` Mytil_enai'_o*i to`n pneu`mona te'gxate Bakch_o*i
xai` syzeu'xate moi ph_ola'da parhthenix_e'n.)
PHILODEME.
99 — HYMNE A ASTARTE
Mere inepuisable, incorruptible, creatrice,
nee la premiere, engendree par toi-meme,
concue de toi-meme, issue de toi seule et
qui te rejouis en toi, Astarte!
O perpetuellement fecondee, o vierge et
nourrice de tout, chaste et lascive, pure et
jouissante, ineffable, nocturne, douce,
respiratrice du feu, ecume de la mer!
Toi qui accordes en secret la grace, toi
qui unis, toi qui aimes, toi qui saisis d'un
furieux desir les races multipliees des betes
sauvages, et joins les sexes dans les forets,
O Astarte irresistible, entends-moi, prends-moi,
possede-moi, o Lune! et treize fois, chaque
annee, arrache a mes entrailles la libation
de mon sang!
100 — HYMNE A LA NUIT
Les masses noires des arbres ne bougent
pas plus que des montagnes. Les etoiles
emplissent un ciel immense. Un air chaud
comme un souffle humain caresse mes yeux
et mes joues.
O Nuit qui enfantas les Dieux! comme tu es
douce sur mes levres! comme tu es chaude
dans mes cheveux! comme tu entres en moi
ce soir, et comme je me sens grosse de tout
ton printemps!
Les fleurs qui vont fleurir vont toutes
naitre de moi. Le vent qui respire est mon
haleine. Le parfum qui passe est mon desir.
Toutes les etoiles sont dans mes yeux.
Ta voix, est-ce le bruit de la mer, est-ce
le silence de la plaine? Ta voix, je ne la
comprends pas, mais elle me jette la tete aux
pieds et mes larmes lavent mes deux mains.
101 — LES MENADES
A travers les forets qui dominent la mer,
les Menades se sont ruees. Maskhale aux
seins fougueux, hurlante, brandissait le
phallos, qui etait de bois de sycomore et
barbouille de vermillon.
Toutes, sous la bassaris et les couronnes
de pampre, couraient et criaient et sautaient,
les crotales claquaient dans les mains, et
les thyrses crevaient la peau des tympanons
retentissants.
Chevelures mouillees, jambes agiles, seins
rougis et bouscules, sueur des joues, ecume
des levres, o Dionysos, elles t'offraient
en retour l'ardeur que tu jetais en elles!
Et le vent de la mer relevant vers le ciel
les cheveux roux de Heliokomis, les tordait
comme une flamme furieuse sur une torche
de blanche cire.
102 — LA MER DE KYPRIS
Sur le plus haut promontoire je me suis
couchee en avant. La mer etait noire comme
un champ de violettes. La voie lactee
ruisselait de la grande mamelle divine.
Mille Menades autour de moi dormaient dans
les fleurs dechirees. Les longues herbes
se melaient aux chevelures. Et voici que
le soleil naquit dans l'eau orientale.
C'etaient les memes flots et le meme rivage
qui virent un jour apparaitre le corps blanc
d'Aphrodita... Je cachai tout a coup mes
yeux dans mes mains.
Car j'avais vu trembler sur l'eau mille
petites levres de lumiere: le sexe pur ou le
sourire de Kypris Philommeides.
103 — LES PRETRESSES DE L'ASTARTE
Les pretresses de l'Astarte font l'amour au
lever de la lune; puis elles se relevent et
se baignent dans un bassin vaste aux
margelles d'argent.
De leurs doigts recourbes, elles peignent
leurs chevelures, et leurs mains teintes de
pourpre, melees a leurs boucles noires,
semblent des branches de corail dans une mer
sombre et flottante.
Elles ne s'epilent jamais, pour que le
triangle de la deesse marque leur ventre
comme un temple; mais elles se teignent au
pinceau et se parfument profondement.
Les pretresses de l'Astarte font l'amour au
coucher de la lune; puis dans une salle de
tapis ou brule une haute lampe d'or, elles se
couchent au hasard.
104 — LES MYSTERES
Dans l'enceinte trois fois mysterieuse, ou
les hommes ne penetrent pas, nous t'avons
fetee, Astarte de la Nuit, Mere du Monde,
Fontaine de la vie des Dieux!
J'en revelerai quelque chose, mais pas
plus qu'il n'est permis. Autour du Phallos
couronne, cent vingt femmes se balancaient
en criant. Les initiees etaient en habits
d'hommes, les autres en tunique fendue.
Les fumees des parfums, les fumees des
torches, flottaient entre nous comme des
nuees. Je pleurais alarmes brulantes.
Toutes, aux pieds de la Borbeia nous nous
sommes jetees sur le dos.
Enfin, quand l'Acte religieux fut consomme,
et quand, dans le Triangle Unique on eut
plonge le phallos pourpre, alors le mystere
commenca, mais je n'en dirai pas davantage.
105 — LES COURTISANES EGYPTIENNES
Je suis allee avec Plango chez les courtisanes
egyptiennes, tout en haut de la vieille ville.
Elles ont des amphores de terre, des plateaux
de cuivre et des nattes jaunes ou elles
s'accroupissent sans effort.
Leurs chambres sont silencieuses, sans
angles et sans encoignures, tant les couches
successives de chaux bleue ont emousse les
chapiteaux et arrondi le pied des murs.
Elles se tiennent immobiles, les mains
posees sur les genoux. Quand elles offrent
la bouillie elles murmurent: ((Bonheur.))
Et quand on les remercie, elles disent:
((Grace a toi.))
Elles comprennent le hellene et feignent de
le parler mal pour se rire de nous dans leur
langue; mais nous, dent pour dent, nous
parlons lydien et elles s'inquietent tout a
coup.
106 — JE CHANTE MA CHAIR ET MA VIE
Certes je ne chanterai pas les amantes
celebres. Si elles ne sont plus, pourquoi
en parler? Ne suis-je pas semblable a elles?
N'ai-je pas trop de songer a moi-meme?
Je t'oublierai, Pasiphae, bien que ta passion
fut extreme. Je ne te louerai pas, Syrinx
ni toi, Byblis, ni toi, par la deesse entre
toutes choisie, Helene aux bras blancs!
Si quelqu'un souffrit, je ne le sens qu'a
peine. Si quelqu'un aima, j'aime davantage.
Je chante ma chair et ma vie, et non pas
l'ombre sterile des amoureuses enterrees.
Reste couche, o mon corps, selon ta mission
voluptueuse! Savoure la jouissance
quotidienne et les passions sans lendemain.
Ne laisse pas une joie inconnue aux regrets
du jour de ta mort.
107 — LES PARFUMS
Je me parfumerai toute la peau pour attirer
les amants. Sur mes belles jambes, dans
un bassin d'argent, je verserai du nard de
Tarsos et du metopion d'Aigypte.
Sous mes bras, de la menthe crepue; sur
mes cils et sur mes yeux, de la marjolaine
de Kos. Esclave, defais ma chevelure et
emplis-la de fumee d'encens.
Voici l'oinanthe des montagnes de Kypre; je
la ferai couler entre mes seins; la liqueur
de rose qui vient de Phaselis embaumera ma
nuque et mes joues.
Et maintenant, repands sur mes reins la
bakkaris irresistible. Il vaut mieux, pour
une courtisane, connaitre les parfums de
Lydie que les moeurs du Peloponnese.
108 — CONVERSATION
((Bonjour.—Bonjour aussi.—Tu es bien
pressee.—Peut-etre moins que tu ne
penses.—Tu es une jolie fille.—Peut-etre
plus que tu ne crois.
—Quel est ton nom charmant?—Je ne dis
pas cela si vite.—Tu as quelqu'un ce
soir?—Toujours celui qui m'aime.—Et
comment l'aimes-tu?—Comme il veut.
—Soupons ensemble.—Si tu le desires.
Mais que donnes-tu?—Ceci.—Cinq drachmes?
C'est pour mon esclave. Et pour moi?
—Dis toi-meme.—Cent.
—Ou demeures-tu?—Dans cette maison
bleue.—A quelle heure veux-tu que je
t'envoie chercher?—Tout de suite si tu
veux.—Tout de suite.—Va devant.))
109 — LA ROBE DECHIREE
((Hola! par les deux deesses, qui est
l'insolent qui a mis le pied sur ma
robe?—C'est un amoureux.—C'est un
sot.—J'ai ete maladroit, pardonne-moi.
—L'imbecile! ma robe jaune est toute
dechiree par derriere, et si je marche ainsi
dans la rue, on va me prendre pour une
fille pauvre qui sert la Kypris inverse.
—Ne t'arreteras-tu pas?—Je crois qu'il
me parle encore!—Me quitteras-tu ainsi
fachee?... Tu ne reponds pas? Helas!
je n'ose plus parler.
—Il faut bien que je rentre chez moi
pour changer de robe.—Et je ne puis te
suivre?—Qui est ton pere?—C'est le
riche armateur Nikias.—Tu as de beaux
yeux, je te pardonne.))
110 — LES BIJOUX
Un diademe d'or ajoure couronne mon front
etroit et blanc. Cinq chainettes d'or, qui
font le tour de mes joues et de mon menton,
se suspendent aux cheveux par deux larges
agrafes.
Sur mes bras qu'envierait Iris, treize
bracelets d'argent s'etagent. Qu'ils sont
lourds! Mais ce sont des armes; et je sais
une ennemie qui en a souffert.
Je suis vraiment toute couverte d'or. Mes
seins sont cuirasses de deux pectoraux d'or.
Les images des dieux ne sont pas aussi riches
que je le suis.
Et je porte sur ma robe epaisse une cointure
lamee d'argent. Tu pourras y lire ce vers:
((Aime-moi eternellement; mais ne sois pas
afllige si je te trompe trois fois par jour.))
111 — L'INDIFFERENT
Des qu'il est entre dans ma chambre, quel
qu'il soit (cela importe-t-il?): ((Vois,
dis-je a l'esclave, quel bel homme! et
qu'une courtisane est heureuse!))
Je le declare Adonis, Ares ou Herakles
selon son visage, ou le Vieillard des Mers,
si ses cheveux sont de pale argent. Et
alors, quels dedains pour la jeunesse legere!
((Ah! fais-je, si je n'avais pas demain a
payer mon fleuriste et mon orfevre, comme
j'aimerais a te dire: Je ne veux pas de ton
or! Je suis ta servante passionnee!))
Puis, quand il a referme ses bras sous mes
epaules, je vois un batelier du port passer
comme une image divine sur le ciel etoile
de mes paupieres transparentes.
112 — L'EAU PURE DU BASSIN
((Eau pure du bassin, miroir immobile, dis-moi
ma beaute.—O Bilitis, ou qui que tu sois,
Tethys peut-etre ou Amphritrite, tu es belle,
sache-le.
((Ton visage se penche sous ta chevelure
epaisse, gonflee de fleurs et de parfums.
Tes paupieres molles s'ouvrent a peine et
tes flancs sont las des mouvements de
l'amour.
((Ton corps fatigue du poids de tes seins
porte les marques fines de l'ongle et les
taches bleues du baiser. Tes bras sont
rougis par l'etreinte. Chaque ligne de ta
peau fut aimee.
—Eau claire du bassin, ta fraicheur repose.
Recois-moi, qui suis lasse en effet. Emporte
le fard de mes joues, et la sueur de mon
ventre et le souvenir de la nuit.))
113 — LA FETE NOCTURNE (non traduite)
114 — VOLUPTE
Sur une terrasse blanche, la nuit, ils nous
laisserent evanouies dans les roses. La
sueur chaude coulait comme des larmes, de nos
aisselles sur nos seins. Une volupte
accablante empourprait nos tetes renversees.
Quatre colombes captives, baignees dans
quatre parfums, voleterent au dessus de nous
en silence. De leurs ailes, sur les femmes
nues, ruisselaient des gouttes de senteur.
Je fus inondee d'essence d'iris.
O lassitude! je reposai ma joue sur le
ventre d'une jeune fille qui s'enveloppa de
fraicheur avec ma chevelure humide. L'odeur
de sa peau safranee enivrait ma bouche
ouverte. Elle ferma sa cuisse sur ma nuque.
Je dormis, mais un reve epuisant m'eveilla:
l'iynx, oiseau des desirs nocturnes, chantait
eperdument au loin. Je toussai avec un frisson.
Un bras languissant comme une fleur s'elevait
peu a peu vers la lune, dans l'air.
115 — L'HOTELLERIE
Hotelier, nous sommes quatre. Donne-nous
une chambre et deux lits. Il est trop tard
maintenant pour rentrer a la ville et la
pluie a creve la route.
Apporte une corbeille de figues, du fromage
et du vin noir; mais ote d'abord mes sandales
et lave-moi les pieds, car la boue me
chatouille.
Tu feras porter dans la chambre deux bassins
avec de l'eau, une lampe pleine, un cratere
et des kylix. Tu secoueras les couvertures
et tu battras les coussins.
Mais que les lits soient de bon erable et
que les planches soient muettes! Demain
tu ne nous reveilleras pas.
116 — LA DOMESTICITE
Quatre esclaves gardent ma maison: deux
Thraces robustes a ma porte, un Sicilien a
ma cuisine et une Phrygienne docile et
muette pour le service de mon lit.
Les deux Thraces sont de beaux hommes.
Ils ont un baton a la main pour chasser les
amants pauvres et un marteau pour clouer
sur le mur les couronnes que l'on m'envoie.
Le Sicilien est un cuisinier rare; je l'ai
paye douze mines. Aucun autre ne sait
comme lui preparer des croquettes frites et
des gateaux de coquelicots.
La Phrygienne me baigne, me coiffe et
m'epile. Elle dort le matin dans ma chambre
et pendant trois nuits, chaque mois, elle me
remplace pres de mes amants.
117 — LE TRIOMPHE DE BILITIS
Les processionnaires m'ont portee en
triomphe, moi, Bilitis, toute nue sur un
char en coquille ou des esclaves, pendant la
nuit, avaient effeuille dix mille roses.
J'etais couchee, les mains sous la nuque,
mes pieds seuls etaient vetus d'or, et mon
corps s'allongeait mollement, sur le lit de
mes cheveux tiedes meles aux petales frais.
Douze enfants, les epaules ailees, me
servaient comme une deesse; les uns tenaient
un parasol, les autres me mouillaient de
parfums, ou brulaient de l'encens a la proue.
Et autour de moi j'entendais bruire la rumeur
ardente de la foule, tandis que l'haleine des
desirs flottait sur ma nudite, dans les
brumes bleues des aromates.
118 — A SES SEINS
Chairs en fleurs, o mes seins! que vous
etes riches de volupte! Mes seins dans mes
mains, que vous avez de mollesses et de
moelleuses chaleurs et de jeunes parfums!
Jadis, vous etiez glaces comme une poitrine
de statue et durs comme d'insensibles
marbres. Depuis que vous flechissez je vous
cheris davantage, vous qui futes aimes.
Votre forme lisse et renflee est l'honneur de
mon torse brun. Soit que je vous emprisonne
sous la resille d'or, soit que je vous
delivre tout nus, vous me precedez de votre
splendeur.
Soyez donc heureux cette nuit. Si mes doigts
enfantent des caresses, vous seuls le saurez
jusqu'a demain matin; car, cette nuit,
Bilitis a paye Bilitis.
119 — LIBERTE (non traduite)
120 — MYDZOURIS
Mydzouris, petite ordure, ne pleure plus.
Tu es mon amie. Si ces femmes t'insultent
encore, c'est moi qui leur repondrai. Viens
sous mon bras, et seche tes yeux.
Oui, je sais que tu es une horrible enfant
et que ta mere t'apprit de bonne heure a faire
preuve de tous les courages. Mais tu es jeune
et c'est pourquoi tu ne peux rien faire qui
ne soit charmant.
La bouche d'une fille de quinze ans reste
pure malgre tout. Les levres d'une femme
chenue, meme vierges, sont degradees; car
le seul opprobre est de vieillir et nous ne
sommes fletries que par la ride.
Mydzouris, j'aime tes yeux francs, ton
nom impudique et hardi, ta voix rieuse et
ton corps leger. Viens chez moi, tu seras
mon aide, et quand nous sortirons ensemble,
les femmes te diront: Salut.
121 — LE BAIN
Enfant, garde bien la porte et ne laisse
pas entrer les passants, car moi et six filles
aux beaux bras nous nous baignons secretement
dans les eaux tiedes du bassin.
Nous ne voulons que rire et nager. Laisse
les amants dans la rue. Nous tremperons
nos jambes dans l'eau et, assises sur le bord
du marbre, nous jouerons aux osselets.
Nous jouerons aussi a la balle. Ne laisse
pas entrer les amants; nos chevelures sont
trop mouillees; nos gorges ont la chair de
poule et le bout de nos doigts se ride.
D'ailleurs, il s'en repentirait, celui qui
nous surprendrait nues! Bilitis n'est pas
Athena, mais elle ne se montre qu'a ses
heures et chatie les yeux trop ardents.
122 — AU DIEU DE BOIS
O Venerable Priapos, dieu de bois que j'ai
fait sceller dans le marbre du bord de mes
bains, ce n'est pas sans raison, gardien des
vergers, que tu veilles ici sur des
courtisanes.
Dieu, nous ne t'avons pas achete pour te
sacrifier nos virginites. Nul ne peut donner
ce qu'il n'a plus, et les zelatrices de Pallas
ne courent pas les rues d'Amathonte.
Non. Tu veillais autrefois sur les chevelures
des arbres, sur les fleurs bien arrosees,
sur les fruits lourds et savoureux. C'est
pourquoi nous t'avons choisi.
Garde aujourd'hui nos tetes blondes, les
pavots ouverts de nos levres et les violettes
de nos yeux. Garde les fruits durs de nos
seins et donne-nous des amants qui te
ressemblent.
123 — LA DANSEUSE AUX CROTALES
Tu attaches a tes mains legeres tes crotales
retentissants, Myrrhinidion ma cherie, et a
peine nue hors de la robe, tu etires tes membres
nerveux. Que tu es jolie, les bras en l'air,
les reins arques et les seins rouges!
Tu commences: tes pieds l'un devant l'autre
se posent, hesitent, et glissent mollement.
Ton corps se plie comme une echarpe, tu
caresses ta peau qui frissonne, et la volupte
inonde tes longs yeux evanouis.
Tout a coup, tu claques des crotales! Cambre-
toi sur les pieds dresses, secoue les reins,
lance les jambes et que tes mains pleines de
fracas appellent tous les desirs en bande
autour de ton corps tournoyant!
Nous, applaudissons a grands cris, soit que,
souriant sur l'epaule, tu agites d'un
fremissement ta croupe convulsive et musclee,
soit que tu ondules presque etendue, au
rhythme de tes souvenirs.
124 — LA JOUEUSE DE FLUTE
Melixo, les jambes serrees, le corps penche,
les bras en avant, tu glisses ta double
flute legere entre tes levres mouillees de vin,
et tu joues au dessus de la couche ou Teleas
m'etreint encore.
Ne suis-je pas bien imprudente, moi qui loue
une aussi jeune fille pour distraire mes
heures laborieuses, moi qui la montre ainsi
nue aux regards curieux de mes amants, ne
suis-je pas inconsideree?
Non, Melixo, petite musicienne, tu es une
honnete amie. Hier tu ne m'as pas refuse de
changer ta flute pour une autre quand je
desesperais d'accomplir un amour plein de
difficultes. Mais tu es sure.
Car je sais bien a quoi tu penses. Tu
attends la fin de cette nuit excessive qui
t'anime cruellement en vain et au premier
matin tu courras dans la rue, avec ton seul
ami Psyllos, vers ton petit matelas defonce.
125 — LA CEINTURE CHAUDE
((Tu crois que tu ne m'aimes plus, Teleas, et
depuis un mois tu passes tes nuits a table,
comme si les fruits, les vins, les miels
pouvaient te faire oublier ma bouche. Tu
crois que tu ne m'aimes plus, pauvre fou!))
Disant cela, j'ai denoue ma ceinture en
moiteur et je l'ai roulee autour de sa tete.
Elle etait toute chaude encore de la chaleur
de mon ventre; le parfum de ma peau sortait
de ses mailles fines.
Il la respira longuement, les yeux fermes,
puis je sentis qu'il revenait a moi et je vis
meme tres clairement ses desirs reveilles
qu'il ne me cachait point, mais, par ruse, je
sus resister.
((Non, mon ami. Ce soir, Lysippos me possede.
Adieu!)) Et j'ajoutai en m'enfuyant: ((O gourmand
de fruits et de legumes! le petit jardin de
Bilitis n'a qu'une figue, mais elle est bonne.))
126 — A UN MARI HEUREUX
Je t'envie, Agorakrites, d'avoir une femme
aussi zelee. C'est elle-meme qui soigne
l'etable, et le matin, au lieu de faire
l'amour elle donne a boire aux bestiaux.
Tu t'en rejouis. Que d'autres, dis-tu, ne
songent qu'aux voluptes basses, veillent la
nuit, dorment le jour et demandent encore a
l'adultere une satiete criminelle.
Oui; ta femme travaille a l'etable. On dit
meme qu'elle a mille tendresses pour le plus
jeune de tes anes. Ah! Ha! c'est un bel
animal! Il a une touffe noire sur les yeux.
On dit qu'elle joue entre ses pattes, sous
son ventre gris et doux... Mais ceux qui
disent cela sont des medisants. Si ton ane
lui plait, Agorakrites, c'est que son regard
sans doute lui rappelle le tien.
127 — A UN EGARE
L'amour des femmes est le plus beau de
tous ceux que les mortels eprouvent, et tu
penserais ainsi, Kleon, si lu avais l'ame
vraiment voluptueuse; mais tu ne reves que
vanites.
Tu perds tes nuits a cherir les ephebes
qui nous meconnaissent. Regarde-les donc!
Qu'ils sont laids! Compare a leurs tetes
rondes nos chevelures immenses; cherche
nos seins blancs sur leurs poitrines.
A cote de leurs flancs etroits, considere
nos hanches luxuriantes, large couche creusee
pour l'amant. Dis enfin quelles levres
humaines, sinon celles qu'ils voudraient
avoir, elaborent les voluptes?
Tu es malade, o Kleon, mais une femme
te peut guerir. Va chez la jeune Satyra,
la fille de ma voisine Gorgo. Sa croupe est
une rose au soleil, et elle ne te refusera pas
le plaisir qu'elle-meme prefere.
128 — THERAPEUTIQUE
O Asklepios, sois-moi propice, o dieu de
la sante divine, le jour ou l'eternelle nuit
noire menacera mes yeux effrayes; car le
poison de ma beaute, un jour, a servi de
remede.
On m'avait mandee en costume dans la chambre
d'un jeune homme que les femmes ne tentaient
point. Des calecons creves se collaient a
mes cuisses, et mes seins jaillissaient nus
d'une brassiere brodee d'or.
J'ai danse selon le rite au son des crotales,
les douze desirs d'Aphrodite. Et voici que
l'amour est entre en lui tout a coup, et sur
le lit de sa virginite j'ai recommence toute
la danse.
((Tu sais te faire aimer, disait-il, mais tu
n'en es pas emue. Que faut-il faire pour
que tu m'aimes?)) Je le regardai plus
loin que les yeux et je lui dis avec lenteur:
((T'imaginer que tu es femme.))
129 — LA COMMANDE
((Vieille, ecoute-moi. Je donne un festin dans
trois jours. Il me faut un divertissement.
Tu me loueras toutes tes filles. Combien en
as-tu et que savent-elles faire?
—J'en ai sept. Trois dansent la kordax
avec l'echarpe et le phallos. Nephele aux
aisselles lisses mimera l'amour de la
colombe entre ses seins couleur de roses.
Une chanteuse en peplos brode chantera
des chansons de Rhodes, accompagnee par
deux auletrides qui auront des guirlandes
de myrte enroulees a leurs jambes brunes.
—C'est bien. Qu'elles soient epilees de
frais, lavees et parfumees des pieds a la
tete, pretes a d'autres jeux si on les leur
demande. Va donner les ordres. Adieu.))
130 — LA FIGURE DE PASIPHAE
Dans une debauche que deux jeunes gens et des
courtisanes firent chez moi, ou l'amour
ruissela comme le vin, Damalis, pour feter
son nom, dansa la Figure de Pasiphae.
Elle avait fait faire a Kition deux masques
de vache et de taureau, pour elle et pour
Kharmantides. Elle portait des cornes
terribles, et une queue veritable a son
calecon de cuir.
Les autres femmes menees par moi, tenant des
fleurs et des flambeaux, nous tournions sur
nous-memes avec des cris, et nous caressions
Damalis du bout de nos chevelures pendantes.
Ses mugissements et nos chants et les danses
effrenees ont dure plus que la nuit. La
chambre vide est encore chaude. Je regarde
mes mains rougies et les canthares de Khios
ou nagent des roses.
131 — LA JONGLEUSE
Quand la premiere aube se mela aux lueurs
affaiblies des flambeaux, je fis entrer dans
l'orgie une joueuse de flute vicieuse et
agile, qui tremblait un peu, ayant froid.
Louez la petite fille aux paupieres bleues,
aux cheveux courts, aux seins aigus, vetue
seulement d'une ceinture, d'ou pendaient des
rubans jaunes et des tiges d'iris noirs.
Louez-la! car elle fut adroite et fit des
tours difficiles. Elle jonglait avec des
cerceaux, sans rien casser dans la salle, et
se glissait au travers comme une sauterelle.
Parfois elle faisait la roue sur les mains
et sur les pieds. Ou bien les deux bras en
l'air et les genoux ecartes elle se courbait
a la renverse et touchait la terre en riant.
132 — LA DANSE DES FLEURS
Anthis, danseuse de Lydie, a sept voiles
autour d'elle. Elle deroule le voile jaune,
sa chevelure noire se repand. Le voile rose
glisse de sa bouche. Le voile blanc tombe
laisse voir ses bras nus.
Elle degage ses petits seins du voile rouge
qui se denoue. Elle abaisse le voile vert de
sa croupe jusqu'aux pieds. Elle tire le
voile bleu de ses epaules, mais elle presse
sur sa pudeur le dernier voile transparent.
Les jeunes gens la supplient: elle secoue la
tete en arriere. Au son des flutes seulement,
elle le dechire un peu, puis tout a fait, et,
avec les gestes de la danse, elle cueille les
fleurs de son corps,
En chantant: ((Ou sont mes roses? ou sont mes
violettes parfumees? Ou sont mes touffes de
persil?—Voila mes roses, je vous les donne.
Voila mes violettes, en voulez- vous? Voila
mes beaux persils frises.))
133 — LA DANSE DE SATYRA (non traduite)
134 — MYDZOURIS COURONNEE (non traduite)
135 — LA VIOLENCE
Non, tu ne me prendras pas de force, n'y
compte pas, Lamprias. Si tu as entendu dire
qu'on a viole Parthenis, sache qu'elle y a
mis du sien, car on ne jouit pas de nous sans
y etre invite.
Oh! va de ton mieux, fais des efforts, c'est
manque. Je me defends a peine, cependant.
Je n'appellerai pas au secours. Et je ne
lutte meme pas; mais je bouge. Pauvre ami,
c'est manque encore.
Continue. Ce petit jeu m'amuse. D'autant
que je suis sure de vaincre. Encore un essai
malheureux, et peut-etre tu seras moins
dispose a me prouver tes desirs eteints.
Bourreau, que fais-tu! Chien! tu me brises
les poignets! et ce genou qui m'eventre!
Ah! va, maintenant, c'est une belle victoire,
que de ravir a terre une jeune fille en larmes.
136 — CHANSON
Le premier me donna un collier, un collier de
perles qui vaut une ville, avec les palais et
les temples, et les tresors et les esclaves.
Le second fit pour moi des vers. Il disait
que mes cheveux sont noirs comme ceux de la
nuit sur la mer et mes yeux bleus comme ceux
du matin.
Le troisieme etait si beau que sa mere ne
l'embrassait pas sans rougir. Il mit ses
mains sur mes genoux, et ses levres sur mon
pied nu.
Toi, tu ne m'as rien dit. Tu ne m'as rien
donne, car tu es pauvre. Et tu n'es pas
beau, mais c'est toi que j'aime.
137 — CONSEILS A UN AMANT
Si tu veux etre aime d'une femme, o jeune
ami, quelle qu'elle soit, ne lui dis pas que
tu la veux, mais fais qu'elle te voie tous les
jours, puis disparais, pour revenir.
Si elle t'adresse la parole, sois amoureux
sans empressement. Elle viendra d'elle-meme
a toi. Sache alors la prendre de force, le
jour ou elle entend se donner.
Quand tu la recevras dans ton lit, neglige
ton propre plaisir. Les mains d'une femme
amoureuse sont tremblantes et sans caresses.
Dispense-les d'etre zelees.
Mais toi, ne prends pas de repos. Prolonge
les baisers a perte d'haleine. Ne la laisse
pas dormir, meme si elle t'en prie. Baise
toujours la partie de son corps vers laquelle
elle tourne les yeux.
138 — LES AMIES A DINER
Myromeris et Maskhale, mes amies, venez avec
moi, car je n'ai pas d'amant ce soir, et,
couchees sur des lits de byssos, nous
causerons autour du diner.
Une nuit de repos vous fera du bien: vous
dormirez dans mon lit, meme sans fards et mal
coiffees. Mettez une simple tunique de laine
et laissez vos bijoux au coffre.
Nul ne vous fera danser pour admirer vos
jambes et les mouvements lourds de vos reins.
Nul ne vous demandera les Figures sacrees,
pour juger si vous etes amoureuses.
Et je n'ai pas commande, pour nous, deux
joueuses de flute aux belles bouches, mais
deux marmites de pois rissoles, des gateaux
au miel, des croquettes frites et ma derniere
outre de Khios.
139 — LE TOMBEAU D'UNE JEUNE COURTISANE
Ici git le corps delicat de Lyde, petite
colombe, la plus joyeuse de toutes les
courtisanes, qui plus que toute autre aima
les orgies, les cheveux flottants, les danses
molles et les tuniques d'hyacinthe.
Plus que toute autre elle aima les glottismes
savoureux, les caresses sur la joue, les jeux
que la lampe voit seule et l'amour qui brise
les membres. Et maintenant, elle est une
petite ombre.
Mais avant de la mettre au tombeau, on l'a
merveilleusement coiffee et on l'a couchee
dans les roses; la pierre meme qui la recouvre
est tout impregnee d'essences et de parfums.
Terre sacree, nourrice de tout, accueille
doucement la pauvre morte, endors-la dans
tes bras o Mere! et fais pousser autour de
la stele, non les orties et les ronces, mais
les faibles violettes blanches.
140 — LA PETITE MARCHANDE DE ROSES
Hier, m'a dit Nais, j'etais sur la place,
quand une petite fille en loques rouges a
passe, portant des roses, devant un groupe de
jeunes gens. Et voici ce que j'ai entendu:
((Achetez-moi quelque chose.—Explique-toi,
petite, car nous ne savons ce que tu vends:
toi? tes roses? ou tout a la fois?—Si
vous m'achetez toutes mes fleurs, vous aurez
la vendeuse pour rien.
—Et combien veux-tu de tes roses?—Il faut
six oboles a ma mere ou bien je serai battue
comme une chienne.—Suis-nous. Tu auras une
drachme.—Alors je vais chercher ma petite
soeur?))
Cette enfant n'est pas courtisane, Bilitis,
nul ne la connait. Vraiment n'est-ce pas un
scandale et tolererons-nous que ces filles
viennent salir dans la journee les lits qui
nous attendent le soir?
141 — LA DISPUTE
Ah! par l'Aphrodita, te voila! tete de
sang! pourriture! empuse! sterile! carcan!
gauchere! digne de rien! mauvaise truie!
N'essaie pas de me fuir, mais approche et
plus pres encore.
Voyez-moi cette femme de matelots, qui ne
sait pas meme plisser son vetement sur
l'epaule et qui met de si mauvais fard que
le noir de ses sourcils coule sur sa joue en
ruisseaux d'encre!
Tu es Phoinikienne: couche avec ceux de
ta race. Pour moi, mon pere etait Hellene:
j'ai droit sur tous ceux qui portent le petase.
Et meme sur les autres, s'il me plait ainsi.
Ne t'arrete plus dans ma rue, ou je t'enverrai
dans l'Hades faire l'amour avec Kharon, et je
dirai tres justement: ((Que la terre te soit
legere!)) pour que les chiens puissent te
deterrer.
142 — MELANCOLIE
Je frissonne; la nuit est fraiche, et la
foret toute mouillee. Pourquoi m'as-tu conduite
ici? mon grand lit n'est-il pas plus
doux que cette mousse semee de pierres?
Ma robe a fleurs aura des taches de verdure;
mes cheveux seront meles de brindilles;
mon coude, regarde mon coude, comme
il est deja souille de terre humide.
Autrefois pourtant, je suivais dans les
bois celui... Ah! laisse-moi quelque temps.
Je suis triste, ce soir. Laisse-moi, sans parler,
la main sur les yeux.
En verite, ne peux-tu attendre! sommes
nous des betes brutes pour nous prendre
ainsi! Laisse-moi. Tu n'ouvriras ni mes
genoux ni mes levres. Mes yeux memes, de
peur de pleurer, se ferment.
143 — LA PETITE PHANION
Etranger, arrete-toi, regarde qui t'a fait
signe: c'est la petite Phanion de Kos, elle
merite que tu la choisisses.
Vois, ses cheveux frisent comme du persil,
sa peau est douce comme un duvet d'oiseau.
Elle est petite et brune. Elle parle bien.
Si tu veux la suivre, elle ne te demandera
pas tout l'argent de ton voyage; non, mais
une drachme ou une paire de chaussures.
Tu trouveras chez elle un bon lit, des figues
fraiches, du lait, du vin, et, s'il fait
froid, il y aura du feu.
144 — INDICATIONS
S'il te faut, passant qui t'arretes, des cuisses
elancees et des reins nerveux, une gorge
dure, des genoux qui etreignent, va chez
Plango, c'est mon amie.
Si tu cherches une fille rieuse, avec des
seins exuberants, la taille delicate, la croupe
grasse et les reins creuses, va jusqu'au coin
de cette rue, ou demeure Spidorrhodellis.
Mais si les longues heures tranquilles dans
les bras d'une courtisane, la peau douce, la
chaleur du ventre et l'odeur des cheveux te
plaisent, cherche Milto, tu seras content.
N'espere pas beaucoup d'amour; mais
profite de son experience. On peut tout
demander a une femme, quand elle est nue,
quand il fait nuit, et quand les cent drachmes
sont sur le foyer.
145 — LE MARCHAND DE FEMMES
((Qui est la?—Je suis le marchand de
femmes. Ouvre la porte, Sostrata, je te
presente deux occasions. Celle-ci d'abord.
Approche, Anasyrtolis, et defais-toi.—Elle
est un peu grosse.
—C'est une beaute. De plus, elle danse
la kordax et elle sait quatre-vingts
chansons.—Tourne-toi. Leve les bras.
Montre tes cheveux. Donne le pied. Souris.
C'est bien.
—Celle-ci, maintenant.—Elle est trop
jeune!—Non pas, elle a eu douze ans
avant-hier, et tu ne lui apprendrais plus
rien. —Ote ta tunique. Voyons? Non, elle
est maigre.
—Je n'en demande qu'une mine.—Et la
premiere?—Deux mines trente.—Trois
mines les deux?—C'est dit.—Entrez la
et lavez-vous. Toi, adieu.))
146 — L'ETRANGER
Etranger, ne va pas plus loin dans la ville.
Tu ne trouveras ailleurs que chez moi des
filles plus jeunes ni plus expertes. Je suis
Sostrata, celebre au dela de la mer.
Vois celle-ci dont les yeux sont verts
comme l'eau dans l'herbe. Tu n'en veux pas?
Voici d'autres yeux qui sont noirs comme la
violette, et une chevelure de trois coudees.
J'ai mieux encore. Xantho, ouvre ta cyclas.
Etranger, ses seins sont durs comme le coing,
touche-les. Et son beau ventre, tu le voie,
porte les trois plis de Kypris.
Je l'ai achetee avec sa soeur, qui n'est pas
d'age a aimer encore, mais qui la seconde
utilement. Par les deux deesses! tu es de
race noble. Phyllis et Xantho, suivez le
chevalier!
147 — PHTLLIS (non traduite)
148 — LE SOUVENIR DE MNASIDIKA
Elles dansaient l'une devant l'autre, d'un
mouvement rapide et fuyant; elles semblaient
toujours vouloir s'enlacer, et pourtant ne se
touchaient point, si ce n'est du bout des
levres.
Quand elles tournaient le dos en dansant,
elles se regardaient, la tete sur l'epaule,
et la sueur brillait sous leurs bras leves,
et leurs chevelures fines passaient devant
leurs seins.
La langueur de leurs yeux, le feu de leurs
joues, la gravite de leurs visages, etaient
trois chansons ardentes. Elles se frolaient
furtivement, elles pliaient leurs corps sur
les hanches.
Et tout a coup, elles sont tombees, pour
achever a terre la danse molle... Souvenir
de Mnasidika, c'est alors que tu m'apparus,
et tout, hors ta chere image, me fut importun.
149 — LA JEUNE MERE
Ne crois pas, Myromeris, que, d'avoir ete
mere, tu sois moindre en beaute. Voici que
ton corps sous la robe a noye ses formes
greles dans une voluptueuse mollesse.
Tes seins sont deux vastes fleurs renversees
sur ta poitrine, et dont la queue coupee
nourrit une seve laiteuse. Ton ventre
plus doux defaille sous la main.
Et maintenant considere la toute petite enfant
qui est nee du frisson que tu as eu un
soir dans les bras d'un passant dont tu ne
sais plus le nom. Reve a sa lointaine destinee.
Ces yeux qui s'ouvrent a peine s'allongeront
un jour d'une ligne de fard noir, et ils
semeront aux hommes la douleur ou la joie,
d'un mouvement de leurs cils.
150 — L INCONNU
Il dort. Je ne le connais pas. Il me fait
horreur. Pourtant sa bourse est pleine d'or
et il a donne a l'esclave quatre drachmes en
entrant. J'espere une mine pour moi-meme.
Mais j'ai dit a la Phrygienne d'entrer au lit
a ma place. Il etait ivre et l'a prise pour
moi. Je serais plutot morte dans les
supplices que de m'allonger pres de cet
homme.
Helas! je songe aux prairies de Tauros...
J'ai ete une petite vierge... Alors, j'avais
la poitrine legere, et j'etais si folle
d'envie amoureuse que je haissais mes soeurs
mariees.
Que ne faisais-je pas pour obtenir ce que
j'ai refuse cette nuit! Aujourd'hui mes
mamelles se plient, et dans mon coeur trop
use, Eros s'endort de lassitude.
151 — LA DUPERIE
Je m'eveille... Est-il donc parti? Il a
laisse quelque chose? Non: deux amphores
vides et des fleurs souillees. Tout le tapis
est rouge de vin.
J'ai dormi, mais je suis encore ivre... Avec
qui donc suis-je rentree?... Pourtant nous
nous sommes couches. Le lit est meme trempe
de sueur.
Peut-etre etaient-ils plusieurs; le lit est
si bouleverse. Je ne sais plus... Mais on
les a vus! Voila ma Phrygienne. Elle dort
encore en travers de la porte.
Je lui donne un coup de pied dans la poitrine
et je crie: ((Chienne, tu ne pouvais pas...))
Je suis si enrouee que je ne puis parler.
152 — LE DERNIER AMANT
Enfant, ne passe pas sans m'avoir aimee.
Je suis encore belle, dans la nuit; tu verras
combien mon automne est plus chaud que le
printemps d'une autre.
Ne cherche pas l'amour des vierges. L'amour
est un art difficile ou les jeunes filles
sont peu versees. Je l'ai appris toute ma
vie pour le donner a mon dernier amant.
Mon dernier amant, ce sera toi, je le sais.
Voici ma bouche, pour laquelle un peuple a
pali de desir. Voici mes cheveux, les memes
cheveux que Psappha la Grande a chantes.
Je recueillerai en ta faveur tout ce qu'il
m'est reste de ma jeunesse perdue. Je brulerai
les souvenirs eux-memes. Je te donnerai
la flute de Lykas, la ceinture de Mnasidika.
153 — LA COLOMBE
Depuis longtemps deja je suis belle; le jour
vient ou je ne serai plus femme. Et alors je
connaitrai les souvenirs dechirants, les
brulantes envies solitaires et les larmes
dans les mains.
Si la vie est un long songe, a quoi bon lui
resister? Maintenant, quatre et cinq fois la
nuit je demande la jouissance amoureuse, et
quand mes flancs sont epuises je m'endors ou
mon corps retombe.
Au matin, j'ouvre les paupieres et je
frissonne dans mes cheveux. Une colombe est
sur ma fenetre; je lui demande en quel mois
nous sommes. Elle me dit: ((C'est le mois ou
les femmes sont en amour.))
Ah! quel que soit le mois, la colombe dit
vrai, Kypris! Et je jette mes deux bras
autour de mon amant, et avec de grands
tremblements j'etire jusqu'au pied du lit mes
jambes encore engourdies.
154 — LA PLUIE AU MATIN
La nuit s'efface. Les etoiles s'eloignent.
Voici que les dernieres courtisanes sont
rentrees avec les amants. Et moi, dans la
pluie du matin, j'ecris ces vers sur le
sable.
Les feuilles sont chargees d'eau brillante.
Des ruisseaux a travers les sentiers
entrainent la terre et les feuilles mortes.
La pluie, goutte a goutte, fait des trous
dans ma chanson.
Oh! que je suis triste et seule ici! Les
plus jeunes ne me regardent pas; les plus ages
m'ont oubliee. C'est bien. Ils apprendront
mes vers, et les enfants de leurs enfants.
Voila ce que ni Myrtale, ni Thais, ni Glykera
ne se diront, le jour ou leurs belles joues
seront creuses. Ceux qui aimeront apres moi
chanteront mes strophes ensemble.
155 — LA MORT VERITABLE
Aphrodita! deesse impitoyable, tu as voulu
que sur moi aussi la jeunesse heureuse aux
beaux cheveux s'evanouit en quelques jours.
Que ne suis-je morte tout a fait!
Je me suis regardee dans mon miroir: je n'ai
plus ni sourire ni larmes. O doux visage
qu'aimait Mnasidika, je ne puis croire que tu
fus le mien!
Se peut-il que tout soit fini? Je n'ai pas
encore vecu cinq fois huit annees, il me
semble que je suis nee d'hier, et deja voici
qu'il faut dire: On ne m'aimera plus.
Toute ma chevelure coupee, je l'ai tordue
dans ma ceinture et je te l'offre, Kypris
eternelle! Je ne cesserai pas de t'adorer.
Ceci est le dernier vers de la pieuse
Bilitis.
LE TOMBEAU DE BILITIS
156 — PREMIERE EPITAPHE
Dans le pays ou les sources naissent de la
mer, et ou le lit des fleuves est fait de
feuilles de roches, moi, Bilitis, je suis nee.
Ma mere etait Phoinikienne; mon pere
Damophylos, Hellene. Ma mere m'a appris
les chants de Byblos, tristes comme la
premiere aube.
J'ai adore l'Astarte a Kypre. J'ai connu
Psappha a Lesbos. J'ai chante comment
j'aimais. Si j'ai bien vecu, Passant, dis-le
a ta fille.
Et ne sacrifie pas pour moi la chevre noire;
mais, en libation douce, presse sa mamelle
sur ma tombe.
157 — SECONDE EPITAPHE
Sur les rives sombres du Melas, a Tamassos de
Pamphylie, moi, fille de Damophylos, Bilitis,
je suis nee. Je repose loin de ma patrie, tu
le vois.
Toute enfant, j'ai appris les amours de
l'Adon et de l'Astarte, les mysteres de la
Syrie sainte, et la mort et le retour vers
Celle-aux-paupieres-arrondies.
Si j'ai ete courtisane, quoi de blamable?
N'etait-ce pas mon devoir de femme?
Etranger, la Mere-de-toutes-choses nous
guide. La meconnaitre n'est pas prudent.
En gratitude a toi qui t'es arrete, je te
souhaite ce destin: Puisses-tu etre aime,
ne pas aimer. Adieu. Souviens-toi dans ta
vieillesse, que tu as vu mon tombeau.
158 — DERNIERE EPITAPHE
Sous les feuilles noires des lauriers, sous
les fleurs amoureuses des roses, c'est ici que
je suis couchee, moi qui sus tresser le vers
au vers, et faire fleurir le baiser.
J'ai grandi sur la terre des nymphes; j'ai
vecu dans l'ile des amies; je suis morte dans
l'ile de Kypris. C'est pourquoi mon nom est
illustre et ma stele frottee d'huile.
Ne me pleure pas, toi qui t'arretes: on m'a
fait de belles funerailles, les pleureuses se
sont arrache les joues, on a couche dans ma
tombe mes miroirs et mes colliers.
Et maintenant, sur les pales prairies
d'asphodeles, je me promeme, ombre
impalpable, et le souvenir de ma vie
terrestre est la joie de ma vie souterraine.
BIBLIOGRAPHIE
I. — BILITIS' SAEMMTLICHE LIEDER zum ersten Male herausgegeben und mit einem Woerterbuche versehen, von G. Heim — Leipzig. 1894.
II. — LES CHANSONS DE BILITIS, traduites du grec pour la premiere fois par P. L. (Pierre Louys). — Paris. 1895.
III. — SIX CHANSONS DE BILITIS, traduites en vers par Mme Jean Bertheroy. — Revue pour les jeunes filles. Paris. Armand Colin. 1896.
IV. — VINGT-SIX CHANSONS DE BILITIS, traduites en allemand par Richard Dehmel.— Die Gesellschaft, Leipzig. 1896.
V. — VINGT CHANSONS DE BILITIS, traduites en allemand par le Dr Paul Goldmann. — Frankfurter Zeitung. 1896.
VI. — LES CHANSONS DE BILITIS, par le professeur von Willamovitz-Moellendorf. — Goettingsche Gelehrte. — Goettinge. 1896.
VII, — HUIT CHANSONS DE BILITIS, traduites en tcheque par Alexandre Backovsky. — Prague. 1897.
VIII. — QUATRE CHANSONS DE BILITIS, traduites en suedois par Gustav Uddgren. — Nordisk Revy. — Stockholm. 1897.
IX. — TROIS CHANSONS DE BILITIS, mises en musique par Claude Debussy. — Paris. Fromont. 1898, etc.
TABLE
VIE DE BILITIS
I — BUCOLIQUES EN PAMPHYLIE
1 — L'ARBRE
2 — CHANT PASTORAL
3 — PAROLES MATERNELLES
4 — LES PIEDS NUS
5 — LE VIEILLARD ET LES NYMPHES
6 — CHANSON
7 — LE PASSANT
8 — LE REVEIL
9 — LA PLUIE
10 — LES FLEURS
11 — IMPATIENCE
12 — LES COMPARAISONS
13 — LA RIVIERE DE LA FORET
14 — PHITTA MELIAI
15 — LA BAGUE STMBOLIQUE
16 — LES DANSES AU CLAIR DE LUNE
17 — LES PETITS ENFANTS
18 — LES CONTES
19 — L'AMIE MARIEE
20 — LES CONFIDENCES
21 — LA LUNE AUX YEUX BLEUS
22 — REFLEXIONS (non traduite)
23 — CHANSON (Ombre du bois)
24 — LYKAS
25 — L'OFFRANDE A LA DEESSE
26 — L'AMIE COMPLAISANTE
27 — PRIERE A PERSEPHONE
28 — LA PARTIE D'OSSELETS
29 — LA QUENOUILLE
30 — LA FLUTE DE PAN
31 — LA CHEVELURE
32 — LA COUPE
33 — ROSES DANS LA NUIT
34 — LES REMORDS
35 — LE SOMMEIL INTERROMPU
36 — AUX LAVEUSES
37 — CHANSON
38 — BILITIS
39 — LA PETITE MAISON
40 — LA JOIE (non traduite)
41 — LA LETTRE PERDUE
42 — CHANSON
43 — LE SERMENT
44 — LA NUIT
45 — BERCEUSE
46 — LE TOMBEAU DES NAIADES
II — ELEGIES A MYTYLENE
47 — AU VAISSEAU
48 — PSAPPHA
49 — LA DANSE DE GLOTTIS ET DE KYSE
50 — LES CONSEILS
51 — L'INCERTITUDE
52 — LA RENCONTRE
53 — LA PETITE APHRODITE DE TERRE CUITE
54 — LE DESIR
55 — LES NOCES
56 — LE LIT (non traduite)
57 — LE PASSE QUI SURVIT
58 — LA METAMORPHOSE
59 — LE TOMBEAU SANS NOM
60 — LES TROIS BEAUTES DE MNASIDIKA
61 — L'ANTRE DES NYMPHES
62 — LES SEINS DE MNASIDIKA
63 — LA CONTEMPLATION (non traduite)
64 — LA POUPEE
65 — TENDRESSES
66 — JEUX
67 — EPISODE (non traduite)
68 — PENOMBRE
69 — LA DORMEUSE
70 — LE BAISER
71 — LES SOINS JALOUX,
72 — L'ETREINTE EPERDUE
73 — REPRISE (non traduite)
74 — LE COEUR
75 — PAROLES DANS LA NUIT
76 — L'ABSENCE
77 — L'AMOUR
78 — LA PURIFICATION
79 — LA BERCEUSE DE MNASIDIKA
80 — PROMENADE AU BORD DE LA MER
81 — L'OBJET
82 — SOIR PRES DU FEU
83 — PRIERES
84 — LES YEUX
85 — LES FARDS
86 — LE SILENCE DE MNASIDIKA
87 — SCENE
88 — ATTENTE
89 — LA SOLITUDE
90 — LETTRE
91 — LA TENTATIVE
92 — L'EFFORT
93 — MYRRHINE (non traduite)
94 — A GYRINNO
95 — LE DERNIER ESSAI
96 — LE SOUVENIR DECHIRANT
97 — A LA POUPEE DE CIRE
98 — CHANT FUNEBRE
III — EPIGRAMMES DANS L'ILE DE CHYPRE
99 — HYMNE A ASTARTE
100 — HYMNE A LA NUIT
101 — LES MENADES
102 — LA MER DE KYPRIS
103 — LES PRETRESSES DE L'ASTARTE
104 — LES MYSTERES
105 — LES COURTISANES EGYPTIENNES
106 — JE CHANTE MA CHAIR ET MA VIE
107 — LES PARFUMS
108 — CONVERSATION
109 — LA ROBE DECHIREE
110 — LES BIJOUX
111 — L'INDIFFERENT
112 — L'EAU PURE DU BASSIN
113 — LA FETE NOCTURNE (non traduite)
114 — VOLUPTE
115 — L'HOTELLERIE
116 — LA DOMESTICITE
117 — LE TRIOMPHE DE BILITIS
118 — A SES SEINS
119 — LIBERTE (non traduite)
120 — MYDZOURIS
121 — LE BAIN
122 — AU DIEU DE BOIS
123 — LA DANSEUSE AUX CROTALES
124 — LA JOUEUSE DE FLUTE
125 — LA CEINTURE CHAUDE
126 — A UN MARI HEUREUX
127 — A UN EGARE
128 — THERAPEUTIQUE
129 — LA COMMANDE
130 — LA FIGURE DE PASIPHAE
131 — LA JONGLEUSE
132 — LA DANSE DES FLEURS
133 — LA DANSE DE SATYRA (non traduite)
134 — MYDZOURIS COURONNEE (non traduite)
135 — LA VIOLENCE
136 — CHANSON
137 — CONSEILS A UN AMANT
138 — LES AMIES A DINER
139 — LE TOMBEAU D'UNE JEUNE COURTISANE
140 — LA PETITE MARCHANDE DE ROSES
141 — LA DISPUTE
142 — MELANCOLIE
143 — LA PETITE PHANION
144 — INDICATIONS
145 — LE MARCHAND DE FEMMES
146 — L'ETRANGER
147 — PHTLLIS (non traduite)
148 — LE SOUVENIR DE MNASIDIKA
149 — LA JEUNE MERE
150 — L INCONNU
151 — LA DUPERIE
152 — LE DERNIER AMANT
153 — LA COLOMBE
154 — LA PLUIE AU MATIN
155 — LA MORT VERITABLE
LE TOMBEAU DE BILITIS
156 — PREMIERE EPITAPHE
157 — SECONDE EPITAPHE
158 — DERNIERE EPITAPHE
BIBLIOGRAPHIE
TABLE